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LUNDI 8 FÉVRIER, Grotte des Bananiers

Tut Tut ! 8h30. Matteo est précisément à l’heure pour nous récupérer. Nous retournons poursuivre notre grande découverte au « Gouffre des Bananiers ». L’objectif est de reconnaitre les deux rivières que nous avons laissées en suspens samedi. Charlie et moi ne pouvons pas nous arrêter « sur rien » en sachant que la grotte continue. On retrouve Juan et son pick-up de l’autre côté de la ville. Matteo et Juan sont tendus quant à notre découverte archéo. Visiblement, cette découverte les a plus ému et travaillé que ce que laissaient apercevoir leurs visages impassibles.

« Alors vas-y, continues de dire que la grotte est « chida » (super) à qui veut l’entendre, tu vas juste éveiller les soupçons sur nos trouvailles, et les paysans n’auront plus qu’à aller voir par eux même ce qu’il y a dans cette grotte ! » Matteo s’énerve sur Juan, qui a été, selon Matteo, trop enthousiaste sur notre sortie. En même temps, comment ne pas l’être ? Outre les découvertes archéos, spéléologiquement parlant, cette grotte est une merveille.

« Je n’ai parlé a aucun moment des poteries Matteo » Juan essai de calmer le jeu « Mais j’ai le droit de dire que cette grotte est chida, parce qu’elle est grave chida ! » se défend-il ensuite.

Puis à Matteo de reprendre « En rentrant l’autre soir je me suis mis presque à pleurer en pensant à ces flûtes et en m’imaginant quelqu’un piller le site. \240Mais vas-y, t’as raison, continuons de vanter cette grotte, et les gens prendront des risques pour aller voir pourquoi elle est tant chida, et ils récupèreront tous les objets».

« Tu vois Matteo, c’est parce que tu réagis toujours comme ça qu’on fini par se fâcher avec toi... » conclu Juan.

Malgré tout les deux copains ne restent pas fâchés bien longtemps et rigolent bientôt de leur dispute. Pas facile à gérer cette découverte. Charlie et moi sommes rassurés que quelqu’un de « protectionniste » et de sensible comme Mattéo face partie du club. Au moins, il défendra leurs découvertes quoi qu’il advienne. Nous, on se contente de nous taire et de faire comme ils souhaitent, tant que nous préservons ces vestiges.

Mais Matteo a un temps d’avance, il a contacté un membre du club qui est archéologue pour nous accompagner aujourd’hui. Quelle surprise ! Le jeune passionné Oel nous rejoint donc et nous allons en pick-up par les pistes jusqu’à la grotte. Matteo le brief « Si on te demande, tu dis que tu es un spéléologue de plus qui se joint à nous pour continuer d’explorer la rivière, d’accord ». Oel, imperturbable tel un bouddha, acquiesce comme si cela allait de soit « Bien sûr ».

Le vacher nous croise justement à cheval alors que nous nous équipons. Il mentionne qu’à 4km à vol d’oiseau il y a une perte qui se met en charge lorsque la retenue d’eau déborde juste au-dessus, pendant la saison des pluies. Très intéressant. Les deux grottes sont probablement connectées.

« Et vous ne connaissez pas de nom à cette grotte alors ? » enquête Juan.

« Non, pas de nom, personne ne s’y intéresse à cette grotte à part vous » répond le vacher. Nous choisissons de montrer dans un premier temps à Oel tous les vestiges que nous avons trouvé (le plus rapidement possible) pour ensuite filer vers notre objectif d’explorer la rivière. Malgré le rythme que nous essayons d’imposer, tout prend du temps. De l’habillement, à la progression. Et Oel ne peut pas apercevoir les céramiques à la va-vite, il est lui aussi ému de notre trouvaille et s’arrête pour les contempler à chaque fois, en nous instruisant de petits commentaires « Ah ces ocarinas (les pêtits sifflets) c’est typique de l’époque 1200 environ. » « Ah par contre cette poterie est beaucoup plus vieille, je dirais qu’elle date d’environ 600. Vous voyez qu’elle est noire ? Cette façon de fumer les poteries c’est définitivement la signature des Zoque (un groupe indien différent des Mayas, très présent dans la région du Chiapas). Pendant ce temps Charlie en profite pour descendre dans une faille qui a été recouverte de dalle par les Zoque, comme pour faire un chemin dessus, sans tomber dedans. On s’était dit qu’il y aurait peut-être des vestiges au fond mais non, ils n’ont rien mis, à première vue ce n’est qu’un bouchon d’argile. On guide Oel à petits pas. C’est un jeune de 28 ans d’un sacré gabarit, au visage doux. Il est très gentil et patient. Il est diplômé en archéologie mais au Mexique, il n’y a pas d’argent pour les archéos. Alors s’il n’a pas de mission, il fait plein d’autres petits boulots. Son objectif est de prendre en photo l’ensemble des vestiges et de faire un rapport pour l’INAH (Institut National d’Anthropologie et d’Histoire). A défaut de donner suite, ces vestiges seront au moins documentés et répertoriés. La période de fréquentation de la grotte a donc été assez étendue, à première vue les Zoques seraient venus de 600 à 1200 dans cette grotte. Les poteries les plus anciennes se situent le plus loin dans le réseau, il s’agit des petits pots d’encens. Elles sont « le plus loin » pour nous si l’on considère que les Zoques entraient par le rappel de 12m comme nous. C’est aussi possible qu’ils entraient par une autre entrée, celle à l’autre extrémité de la galerie dont nous avons vu l’éboulis depuis l’intérieur, éboulis qui a condamné cette entrée pour toujours et qui a ainsi préservé les poteries. Les poteries les plus jeunes ce sont la flûte et les ocarinas. « Vous avez touché aux ocarinas ? » demande Oel. Il ne veut pas déplacer les poteries, à moins que nous n’ayons pas résisté à le faire lors de la découverte. Justement, on a tous touché aux ocarinas, mais un détail de taille nous a échappé : leur fac cachée est sculptée en forme de hibou ! « Vous voyez les yeux du hibou ? Ils sont ronds, et ils ressortent. Cela signifie que le sculpteur fait référence à la divinité du Hibou, et non à l’animal en lui-même. Quelle circonstance, le samedi soir en sortant de la grotte, nous avons justement vue la silhouette d’un gros hibou perché à la cime d’un arbre, dans la lumière du crépuscule. Charlie propose discrètement alors de nommer la grotte « La Grotte des Hiboux ». Tout le monde semble accepter ce nom. Voilà une belle manière de baptiser notre grotte. En conduisant Oel je découvre dans un diverticule une étonnante anse de poterie. Oel nous apprend que l’anse représente une chauve-souris. Tiens donc ! Charlie découvre dans un autre diverticule deux jarres bien rondes et intactes, ainsi qu’une coupelle et deux gros fémurs. Ca donne envie de continuer de fouiller, mais laissons notre archéologue faire ses photos, il y a une rivière qui nous attend !

Le dos de l’ocarimba représente la divinité du Hibou

Anse de poterie en forme de chauve-souris

Nous voila qui descendons les puits et parcourons le chemin jusqu’à la première rivière que nous avons vu. Nous avons espoir que cette rivière soit un affluent de la rivière bruyante que nous avons entendu l’autre fois. Nous supposons donc qu’en nous y mettant, peut-être qu’avec beaucoup de chance elle nous mène à la grosse rivière ?

Elle est toute calme, il n’y a pas de courant, l’eau est bleue claire, avec une belle visibilité. Il faut s’y jeter, pas le choix. On nage dès le début, les bords sont très coupants et la roche est « pourrie ». On dirait que les énormes prises tiennent mais de très gros bouts nous viennent dans les mains. On remonte d’abord la rivière, un passage bas nécessite que nous nous immergions et que nous enlevions notre casque pour passer un petit instant la tête sous l’eau. On rigole bien ! Charlie et ses capacités d’escalades nous permette de remonter la rivière et ses petites cascades jusqu’à buter sur une salle fossile où une grosse coulée stalagmitique nous empêche de continuer plus loin. On ne s’entête pas, on file explorer l’aval, en observant au passage de très beaux spécimens de crevettes cavernicoles bien dépigmentées. De beaux couloirs de nage nous attendent encore. Nous coulons presque avec nos chaussures d’alpis lourdes comme des enclumes, nos vêtements trempés et Charlie avec sa combinaison en coton en plus de ça ! On rencontre deux cascades que nous descendons en rappel, une maman-crabe nous laisse admirer sa portée de bébés-crabes qu’elle porte sous sa carapace à un passage que Charlie nomme « Le Passage de la fertilité ». Nous atterrissons dans une grande salle et un siphon. Terminus. On n’ira pas plus loin. On grignote un morceau. Le froid nous gagne un peu. Pourtant il fait bien 25 degrés dans cette grotte mais ça fait un moment qu’on est dans l’eau. On a promis à Oel de revenir pour 17h. On l’a abandonné tout seul avec ses poteries, il n’avait pas l’air malheureux. C’est déjà 16h, on est à 1h de Oel mais il FAUT qu’on aille voir la rivière-qui-fait du bruit. Elle me hante depuis deux jours ! On court donc jusqu’à l’endroit où nous nous étions arrêté la fois dernière. Matteo abandonne en court de route, sur une escalade dans la boue. Il n’a plus de forces ! Juan s’accroche et nous suit. Quand il nous rattrape Charlie a déjà installé une corde et descend dans le puits qui nous sépare de la rivière. « Mais vous êtes des flêches vous ne vous fatiguez jamais ? » s’étonne Juan. « C’est qu’en France on fait pas mal de spéléo, et cette grotte n’est pas très difficile, hormis les déplacements dans la boue » je lui répond, en descendant le puits à mon tour. Aaaaah, la rivière, ça y’est ! On retrouve les morceaux de stalagmites que nous avions jetées samedi soir. Une belle rivière qui part vers l’amont et vers l’aval, sans siphon. On peut progresser dans les deux sens. C’est frustrant ce compte à rebours. On prend le temps de calculer le débit : 18l/s. Puis Charlie et moi partons vers l’amont. On marche dans la rivière avec de l’eau jusqu’aux chevilles, rapidement il faut escalader, désescalader, prendre des appuis, c’est sportif ! On s’arrête de nouveau « sur rien », ça continue mais on doit faire demi-tour. Quelle frustration m’envahit ! On retrouve Juan qui avait commencé à nous rejoindre « L’eau est trouble en amont » lui commente Charlie. « Alors c’est bon signe » constate Juan « A MalPasso la rivière est trouble aussi, je crois que c’est pour ça que personne ne veut continuer de l’explorer ». Donc elles feraient peut-être partie du même système. Quel gros réseau on pourrait mettre à jour dis donc ! Juan remonte le puits, nous jetons un coup d’œil à l’aval cette fois-ci : ben ça continue aussi. Ra la la...

Malgré tout on remballe toutes nos cordes, on « déséquipe » la cavité. Espérons que le groupe Jaguar se motive à faire la topo et continuer les explorations. On dirait qu’ils ont envie mais selon Juan, ils ne sont pas nombreux à avoir le niveau technique et physique de venir jusque là. On aimerait tellement participer ! Mais en même temps, le Mexique, c’est immense, et il y a tellement de choses à voir. On se traine avec nos kits (sacs de corde) plein de boue jusqu’à Oel. Il photographie toujours ses poteries. J’ignore s’il s’est aperçu de notre retard, il est 18h30 ! On remonte tranquillement jusqu’à la sortie, les gars peinent à passer le dernier fractionnement. Nos bloqueurs sont tellement pleins de boues qu’ils ne « mordent » plus la corde, si bien qu’en montant, il nous arrive de redescendre ... !

Cette grotte n’a donc pas fini de nous livrer ses secrets. Oel devrait partager son rapport avec nous. Sales comme on est, même après nous être changés, n’empêche pas le naturel du Mexicain de revenir au grand galop « Allons nous faire quelques tacos » propose Juan, en s’arrêtant à la Taqueria du hameau. Miam, ils sont pas mal. Ça nous redonne des forces et du courage pour laver tout notre matériel de spéléo dès en rentrant chez Augustin, à 22h. Il va nous prendre pour des fous. Il faut que ça soit propre et sec car demain on s’est engagés à partir pour trois jours d’itinérance sur un autre secteur, avec d’autres speleos!

Passage bas en semi-immersion

Crevette cavernicole

Maman crabe et ses bébés

Charlie descend le « puits de la fertilité »

Une bonne journée de spéléo avec une chouette équipe

MARDI 9 FÉVRIER, Suchiapa

Faire les courses pour 3 jours, faire le tri dans nos affaires, faire nos sacs et nous voilà dans le bus direction Benito Juarez, accompagnés de deux biologistes Juan et Jesus. Nous avions en tête de visiter le réseau de Chorro Grande, découverte majeure de l’expédition française de 1993, dont faisait partie notre ami Eric David. Il s’agit d’une rivière souterraine de 10km qui résurge dans les Gorges du Suchiapa. Ces eaux proviennent d’une perte située sur le plateau de Roblada Grande. La perte s’active que pendant la saison des pluies. L’objectif serait de rentrer par la perte sur le plateau et de ressortir par la résurgence. Au jour d’aujourd’hui, les prospections sur le plateau n’ont rien donné. Notre mission est d’aller voir si le « bouchon de sable » au fond du réseau s’est purgé ou pas. Il y a aussi des escalades à faire mais nous n’avons pas le matériel nécessaire pour les faire. Les biologistes, dont Kaleb, un des membre-fondateur du club Jaguar, viennent pour étudier un poisson cavernicole qui a été répertorié dix ans plus tôt par une équipe de scientifiques, mais qui n’a jamais été étudié. Voilà que notre équipe prend des allures d’expédition, entre explorateurs et scientifiques ! Nos scientifiques cela dit ne sont pas en grande forme physique et comptent bien marcher le moins possible. Ils combinent donc les véhicules pour nous rapprocher le plus possible des Gorges du Suchiapa, dans lesquelles se jette Chorro Grande. Arrivés au petit village de Benito Juarez après 2h de VW, nous contratons un taxi, dans lequel on s’entasse (les biologistes sont un peu gros !). Kaleb fait faire le tour du village au taxista pour faire le plein d’1kg de tortillas et de queso puis le taxi nous amène au hameau de La Union y Progreso, à 20min de là. C’est un voyage dans le temps, une piste constitue la rue principale du hameau, elle est bordée d’abreuvoirs pour les chevaux. Il n’y a pas de véhicules, que des motos et surtout des chevaux. Le hameau borde la rive de l’entrée des Gorges du Suchiapa. De là nous sommes à 10km de la résurgence, nous comptons donc partir à pied du hameau. Les coqs, les dindons, oiseaux et vaches font un fond sonore rural très agréable. Les petites maisons ont leur cour en terre battue. Ce que j’aime dans ces hameaux c’est qu’ils sont propres en général, les paysans sont débrouillards, ils ne consomment pas de plastique comme en ville. Un paysan boit un coup au « bar » du hameau, son cheval attaché à la barrière. Evidemment, tout le monde nous regarde, et je n’ose pas prendre de photo.

« Eh, où habite le « comisariado » » interpelle Kaleb depuis le taxi à 3 hommes en train de réparer quelque chose.

« La seule rue cimentée qui monte, la maison en ciment » répond l’un, dans un charabia paysan.

Pas de bonjour, d’embarras de politesse. Nous apprenons qu’au Mexique, il vaut mieux « s’annoncer » au « comisariado » lorsqu’on part marcher ou faire une itinérance. Au moins le chef du hameau sait que nous sommes là, que nous ne sommes pas dangereux, il nous donne les informations à savoir, les précautions à prendre et en échange il nous donne une certaine forme de protection. Charlie et moi sommes méfiants sur cette pratique : et si le comisariado est corrompu, alors il est très facile de nous trouver et de nous faire disparaitre. Pour Kaleb c’est l’inverse. En tant que biologiste, ils ont pour habitude de toujours se signaler auprès du comisariado avant de partir dans la nature. Le dit comisariado nous accueille depuis le pas de sa porte avec un grand sourire de dents en métal. Sa femme a le même sourire. Ils ont l’air bienveillant et nous font plusieurs recommandations. A l’issue de la conversation, il nous propose de nous avancer de 6 km sur un chemin de « terraseria » avec une camionnette. Quoi, un chemin ? Mais c’est pas possible on est à l’entrée des gorges ? Ils sont pas possible ces mexicains, il y aura toujours un moyen de se faire transporter on dirait. Charlie et moi préférons marcher mais avec tous ces transits, il est déjà 16h et le soleil ne va pas tarder à se coucher. Bon, ok pour la camionnette. Le chauffeur vide toutes les bouteilles d’essence qu’il a, il pousse la camionnette jusqu’à notre hauteur. Notre trajet réjouit 4 personnes du village qui s’entassent devant à côté du chauffeur juste pour le plaisir de faire l’aller-retour. Nous, nous chargeons nos sacs dans la benne et montons debout dedans, tel un char de gladiateur, et vrouuum, la camionnette démarre en prise dans la pente. Nous voilà à 10km/h sur le chemin de « terraceria », à jouer à garder l’équilibre sur la piste et à nous accroupir entre deux phrases pour éviter les branches, ça fait du bien. L’air est doux, les arbres sont grands, nous passons les immenses Huanacaxtles, ces arbres aux fruits ressemblant à des oreilles d’éléphants et dont les indigènes toastaient les graines pour faire du café. Il y a aussi des Jacarandas, des très grands arbres qui fleurissent rose au printemps, donc en ce moment. La « terraseria » (piste) borde les champs de « milpa ». Moi je ne vois que des champs de maïs mais Jesus nous apprend que les milpa sont une forme d’agriculture en symbiose ancestrale. On sème du maïs avec des citrouilles, des haricots rouges et du piment, et le tout s’entraide pour se protéger et se nourrir. C’est une forme primitive de permaculture. 1h plus tard la terraseria n’est plus praticable, tout le monde descend. Je plaisante auprès des biologistes en leur demandant « et maintenant elle est où la barque pour nous emmener jusqu’à la résurgence ? ». Les biologistes rigolent. « Et si seulement il y a avait une barque ! ». Ils peinent un peu à organiser leur matériel scientifique dans leurs petits sacs. Eux sont en pantalons, chemise épaisse et chapeau à l’inverse de Charlie qui est en short / tshirt, machette aiguisée à la main. C’est comme d’habitude mon Homme de la Nature qui ouvre le chemin, et impose le rythme. Il n’y a que 4-5km mais il n’y a pas vraiment de chemin, et nous devrons traverser plusieurs fois la rivière du Suchiapa à pied avant d’atteindre la résurgence. Le terrain est bien karstique, on repère des petites grottes et des traces de karstification, Charlie nous trouve toujours un chemin mais malheureusement, étant le premier, qui plus est en short, il fait également le plein de tiques. Il en choppe plus d’une centaine qui ne vont plus nous quitter tant qu’on ne retourne pas en ville. Nous trois nous en sortons plutôt bien, le pantalon et le chapeau protège pas mal aussi. Ici ils ignorent que les tiques peuvent donner la maladie de Lyme. Charlie, qui a longtemps travaillé en forêt, en est à l’inverse bien conscient, et il déteste les tiques ! L’obscurité tombe jusqu’à ce qu’il fasse totalement noir. On met deux heures à arriver à la résurgence, pourtant nous marchons d’un bon pas. Le pauvre Jesus en a la chemise trempée ! La résurgence tombe en une cascade dans la rivière du Suchiapa, il y a un petit banc de sable juste à côté, c’est parfait pour camper ! En un rien de temps Charlie a déjà ramassé et coupé du bois et nous filons nous baigner à la cascade, que nous éclairons avec les frontales. Les petits verts luisants illuminent ce décor nocturne somptueux, les biologistes ont allumé le feu, que c’est bon d’être en pleine nature ! On partage le repas de tortillas au queso fondu avec un bon café, un plat de pâtes de la part de Charlie et du riz en sachet pour les mexicains. Eux ne s’encombrent pas de tente ni de duvet, ils ont juste pris « un toit » et vont dormir sous leur couvertures de survie. Ils n’ont même pas de petit pull, alors qu’il fait plus frais dans les gorges. Nous c’est le grand confort on a notre change sec du soir (legging et tshirt manche longue), une tente et un duvet pour deux et on roupille comme des bébés jusqu’à l’aube.

Début de la marche au soleil couchant avec nos deux biologistes

Il nous faut traverser la rivière du Suchiapa plusieurs fois avant d’arriver à la résurgence de Chorro Grande

MERCREDI 10 FÉVRIER, Suchiapa

Qu’est ce que j’aime me réveiller en bivouac et prendre le temps de boire mon café pendant que la nature se réveille. Les biologistes sont excités à l’idée d’aller capturer ce poisson. Est-ce qu’ils y arriveront ? Est-ce que leur étude sera pertinente ? Pourquoi Jesus a-t-il attendu 10 ans avant de venir à Chorro Grande ? Et combien se passera-t-il de temps avant qu’il fasse son article ? En tout cas, nous sommes heureux d’avoir été l’élément déclencheur de cette étude scientifique. Nous partons en premier dans la galerie principale de Chorro Grande, nous avons comme mission d’aller au bout pour voir le siphon de sable tout en comptant le nombre de poissons et en observant à quel point ils sont entrés dans le réseau. Ce sont des mini poissons chats, les plus petits font quelques centimètres, les plus gros environ 15. 1, 2, 5, 9, 10, dis donc y’en a ! Je ne m’attendais pas à en trouver autant. L’expédition scientifique en avait compté 6 dans l’autre galerie, dont plusieurs de morts et aucun dans cette branche. Soit la population s’agrandit, soit il n’y avait pas prêté attention. En revanche dans le rapport de l’expédition française de 1993, le biologiste Philippe SIAUD ne mentionne aucun poisson ni crabe dans sa longue liste d’échantillons prélevés. Il faudra que je le contacte pour savoir s’il se rappelle avoir vu des poissons. Il y a des poissons jusqu’à mi galerie, à environ 3km de l’entrée, nous en comptons 37. Ils sont bien dépigmentés. La galerie est immense. Nous ne portons pas de baudrier c’est que de l’horizontale. C’est agréable : c’est grand, facile et joli, une vraie randonnée aquatique souterraine ! Il y a quelques poches de CO2 qui gênent un peu notre respiration mais c’est la seule difficulté que nous rencontrons. A notre retour, 6h plus tard, nous croisons les biologistes qui posent leurs pièges. Jesus a repéré deux espèces de poissons mais il est déçu car pour l’instant il n’a piégé que de jeunes spécimens qui sont aveugles mais qui ont encore des yeux. Les grands sont trop malins pour se faire piéger ! Nous partons en éclaireurs dans l’autre galerie et comptons à nouveau les poissons, à 1/3 de la galerie nous en avons compté 49, dont 3 morts. Peut-être que cette rivière est plus polluée que l’autre ? Ou qu’il y a moins de faune pour manger les cadavres ? Il se fait tard, nous faisons demi-tour pour ressortir au crépuscule. Les biologistes eux continuent leur travail jusqu’à 21h. Ce qui nous laisse le temps de cuisiner sur le feu de camps et de profite du calme de la soirée, sur fond musicale d’un énorme crapaud qui appelle laxistement sa future compagne. Nos biologistes arrivent épuisés au feu de camps, ils leurs faut encore prendre en photo leurs spécimens et les plonger dans le formol. Kaleb a prélevé un vieux crabe (c’est sa spécialité) et Jesus a 4 poissons, mais malheureusement pour lui ils ont tous des yeux. Dommage ceux que nous avons vu au fond ont les yeux plus atrophiés. J’espère que son étude donnera quelque chose. Nous pouvons au moins lui fournir les vidéos GoPro que nous avons faites pour étayer son article.

Le campement, à l’aube

Chorro Grande, le passage du canyon

Paysage de randonnée souterraine

Les grandes galeries de Chorro Grande

Le poisson-chat troglobie

JEUDI 11 FÉVRIER, Suchiapa

C’est ici que nos chemins se séparent. Les gars remontent les gorges pour ressortir au hameau. Nous nous avons entendu dire par Matteo que nous pouvions descendre à pied les Gorges du Suchiapa jusqu’à leur exutoire ! Voila de quoi continuer l’aventure en amoureux comme j’aime ! Il n’y que 20km de marche, autant dire que c’est rien, on a le temps pense-t-on. On traine au campement et nous mettons en marche en fin de matinée. Il n’y a plus de chemin, il faut marcher dans la rivière et sur les bancs de sable quand il y en a. La rivière n’est pas très profonde, elle nous arrive au plus haut aux hanches. De temps à autre il y a des petits rapides que nous contournons facilement. Dans les basses eaux les poissons passent aussi furtivement que des ombres. Il fait bon et de partir à l’inconnu dans ces gorges pimente nos sensations. On sait juste que « ça se fait ».


« Amor regaaaaarde ! Là ! Là ! A ta droite ! » je souffle à Charlie mais c’est trop tard, il ne voit pas l’énorme serpent noir qui se glisse dans la végétation. Dommage je l’ai vu trop tard, je n’ai pas vu sa tête. Ouh la la, ça c’est un gros serpent j’espère qu’il ne vient pas trop nager dans l’eau. Heureusement que nous sommes en chaussures d’alpi, c’est gros et ça protège bien les chevilles. Augustin nous a donné un « Aspivenin » pour notre itinérance, en cas de morsure on pourra au moins aspirer le venin. Espérons qu’on n’ait pas à l’utiliser car dans ces gorges nous sommes loin de tout. Le soleil est à son plus haut point quand nous entendons du bruit : des humains. Bah, je ne sais pas pourquoi, je n’aime pas ça. On préfèrerait ne voir personne. Mon pouls s’accélère quand je vois qu’ils ont des armes. Putain c’est pas possible. Charlie garde sa machette bien en évidence à la main. Comme il est conseillé ici, nous allons franchement à leur rencontre, d’un pas sûr, la voix stable. Charlie entame la conversation avec une voix « trop sûre » « como estan, como les va ? ». L’un des deux gars a son fusil dans le dos, avec une ribambelle de balle (des vraies balles, pas du petit plomb !) prêtent à servir. Je n’aime pas ça je n’aime pas ça. L’autre gars derrière à son fusil à la main, il rigole bizarrement. Je n’aime pas leur regard ni leur attitude. On se force à maintenir une conversation normale

« On est sortis chasser » répond notre interlocuteur.

« Ah bon est qu’est ce que vous chasser » lui demandais-je alors

« Ce qu’on trouve, ce qu’on peut manger » me répond il. C’est sûr, je me trouve un peu conne d’avoir posé la question. « Ca peut etre du tejon (une sorte de marsupial), de l’armadillo (Tatou), du venado (petit chevreuil), du dindon sauvage, ce qu’il y a quoi. On a déjà eu un téjon ce matin. ». Nous expliquons que nous venons des grottes.

« Et vous, vous portez des armes ? » nous demande-t-il avec un sourire étrange. J’aime pas ça, j’ai envie de déguerpir. « On a une bonne machette » répond Charlie. Et on réfléchit plus tard qu’on a aussi 1,5L d’essence dans le réchaud, ça peut servir ! J’aime pas avoir peur des chasseurs, en France j’en aurai rien à faire, mais qui sait si ce sont de vrais chasseurs ? Qui sait quelles sont leurs intentions. Emanuel nous commente a notre retour qu’il y a effectivement des cultures de narcotrafiquants dans les gorges, et que nous avons eu peur peut-être à juste titre. Normalement les mexicains vont dans les gorges en grands groupes pour camper, ça traine plus mais on se sent protégé par le nombre. On part enfin sans nous retourner, j’ai le cœur à mille, on trouve une énorme peau de serpent sur notre chemin, c’est peut-être celle de celui qu’on vient de croiser, elle est encore fraiche. Charlie la prend, elle fait sa taille ! ca fait un bon serpent ça ! On aperçoit plus loin le reste du groupe, l’un d’eux est adossé à un gros bloc, il fait cuire le téjon récemment tué sur le feu de camps et la peau sèche à côté. Plus bas, deux adultes s’affairent à pêcher. On s’arrête se présenter, ils ont l’air moins suspicieux que les autres. Le plus vieux, un petit maigrichon, a un sourire plus sincère. On en profite pour lui poser nos questions

«On vient de voir un gros serpent noir, il y a beaucoup de serpent dans le coin ? »

« Ah, ça devait être un « mataratones » (tueur de rats), il est gentil celui là, il sort à midi pour boire à la rivière mais il n’attaque pas. En revanche, méfiez vous de celui qui ressemble au serpent à sonnette, il chasse dans l’eau à partir de 18h. Il est café avec des anneaux jaunes ». Bon, merci du conseil. On repart mais on n’est pas sereins. Fais chier l’ambiance, moi qui pensais être tranquille dans ces gorges, la tension est montée. Est-ce qu’on a eu raison de se lancer dans la descente de ces gorges ? On est tellement frustrés de ne pas pouvoir accéder à la nature seuls ici. Pourquoi faut-il toujours être accompagné ? L’encaissement du Suchiapa est beau, le paysage nous permet de nous évader, nous observons tout les phénomènes karstiques qui mériteraient d’être explorés sur une prochaine expédition. Cette partie des gorges n’a encore jamais été repéré par un spéléo. Deux résurgences et un énorme porche attirent particulièrement notre attention. Mais on ne prend pas le temps d’aller les explorer car on traine, l’heure tourne et malgré que nous nous hâtons, nous progressons d’une moyenne de seulement 2km/h, ce qui désespère Charlie qui espérait secrètement, suite à notre rencontre, de sortir des gorges dans le foulée. « A ce rythme on ne risque pas de sortir avant la nuit »

désespère –t- il. « Tu crois qu’il peuvent nous traquer ? » me demande-t-il. « Non, je ne crois pas. Rappelles-toi, ils ne savent même pas qu’on puisse sortir des gorges par les gorges ». Et puis je ne pense pas qu’on vaille le coup d’être traqués. Encore des humains, un gros groupe cette fois-ci, 8 hommes et deux petits garçons, remontent la rivière en short-tshirts avec des masques et des filets. Eux ils n’ont pas peur du Nauyaca, le serpent aquatique venimeux. On se présente auprès du « chef ». Les autres se contentent de nous dévisager en silence. Nous avons de l’eau jusqu’à la taille et avec notre sac à dos, le courant nous déstabilise, on n’est pas en position de force mais l’échange est court et le groupe de pêcheur continue de remonter la rivière. Ils viennent du hameau de Guadaloupe, nous ignorons où se trouve ce village mais savons qu’ils sont entrés par un côté du canyon. Plus tard ils nous doublent dans l’autre sens en marchant sur des sentes dans la forêt. Ils connaissent bien les raccourcis. On essaie de leurs embrancher le pas mais ils sont légers et ils vont vite. On s’arrête alors manger un bout, Charlie est désespéré par ses morsures de tiques et de puces qui le démange, et moi je ne suis pas très tranquille. On reprend la marche et arrivons sur une petite plage où le feu vint d’être éteint : ils ont mangé leurs poisson là. Effectivement il y a encore les entrailles des petits poissons qui flottent dans l’eau, avec des bouts de tortillas, deux carapaces de tatou intactes (comment les chassent-ils ? Certainement pas au fusils il n’y a pas de trou dans la carapace. Ils doivent les piéger), des gobelets en polystyrène, des sachets de plastique et une bouteille de tequila vide. Ca j’aime encore moins qu’ils boivent de l’alcool. Ils se sont mis avec raison sur cette plage où coule une petite résurgence, parfait pour remplir nos bouteilles. Nous les apercevons loin devant nous, et eux aussi. Ils doivent se sentir suivi. Dire qu’eux arrivent à chasser des animaux, et que nous on en voit aucun. Comment les voient-ils ? Leur sentier est super loin ! Ca leur fait une sacré randonnée à la journée, surtout pour les petits garçons ! Nous pensons être plus tranquilles après cette bifurcation, mais les traces de présence humaines sont sur chaque petites plages « Dans les temps des nomades ça devait être pareil » commente Charlie « Il devait y avoir des traces de feu de camps, de chasse et de pêche partout ». L’un des chasseurs nous commenta que pendant la saison sèche il y avait beaucoup de familles qui descendaient camper, faire sa lessive, pêcher et chasser dans les gorges, car sur les plateaux calcaires il n’y a pas d’eau et c’est la fournaise. Quelle vie ça doit être, c’est presque du semi-nomadisme. A quasiment chaque feu de camps nous trouvons des carapaces d’armadillo, quelques conserves de sauce tomate et ... une bouteille de tequila. Plus loin on croise trois jeunes qui sont venus camper et pêcher depuis un autre village. Je crois qu’on leurs à ficher la trousse. Puis le crépuscule nous rattrape et nous choisissons d’installer notre bivouac sur un ilot au milieu de la rivière, pensant être tranquilles de tout ces vas-et-viens. On respire et se prépare à aller nous baigner nus comme au premier jour quand deux jeunes passent sur l’autre rive avec deux ou trois chiens. Ils nous saluent de loin et continuent d’un bon pas. Dis donc ces gorges elles sont bien fréquentées. On se pose près de notre feu et la magie d’une soirée de bivouac opère : crépitement du feu, douceur de l’air, très légère brise, l’écoulement de la rivière, les crapauds, grillons et oiseaux chantent, les chauves-souris virevoltent et nous sommes quelque peu apaisés. Le diner est de surcroit succulent : bananes plantain cuites au feu de bois, tortillas fourrées au fromage fondu, et un bon café. Charlie fait un « gardien du feu » en assemblant nos vêtements et chapeau contre les rochers, auprès du feu « Tiens, il a même droit à son bâton de feu ! » me fait-il pouffer de rire ! On dirait un vrai bonhomme ! « Au moins, ça fait une présence ! » Puis il alimente notre feu avec une collection de bouses de vache et nous nous glissons dans la tente, mais pour moi impossible de dormir, je suis sur le qui-vive. On entend les deux jeunes aller et venir dans la rivière, ils font une vraie rasia de poissons. A ce rythme leur rivière n’en aura plus de poissons ... En France c’est interdit de pêcher de nuit.

Je somnole, je rêve que nous progressons dans la rivière ... « OUAF OUAF OUAAAAAF ! » « Ahhhhh » mon cri de stupeur m’étrangle presque et Charlie bondit sur sa machette. « Bordel, c’est quoi ce putain de clébard, il devait être là, juste sur nous. On est traqués comme du gibier !» je m’insurge. J’ai de nouveau le cœur à dix milles, qu’est ce qu’il nous a fichu la trousse ce clébard. Il a dû avoir autant peur que nous en entendant hurler la tente bleue qu’il attaquait, à moins qu’il traquait un gibier autre que nous, dans ce cas il a dû paniquer en entendant nos cris ! Cette dernière idée me fait sourire ...

Joli papillon

Dans les gorges du Suchiapa

Charlie a trouvé une petite mue de serpent

Un des nombreux camps de pêcheurs/chasseurs

La carapace d’un armadillo (tatou)

Les gorges du Suchiapa

La magie d’un feu de camps

VENDREDI 12 FÉVRIER, Suchiapa

Nous levons le camp à l’aube, nos cœurs et notre esprits sont plus légers que le veille : aujourd’hui nous sortons des gorges, il nous reste 7km, essayons d’être relax et de profiter de la nature. Effectivement la peur de rencontrer quelqu’un de malveillant s’envole, et marcher dans la fraicheur et la tranquillité du matin est un vrai régal. La nature est fraiche, les plantes sont bien vertes, la fin du canyon est plus encaissée et nos sens sont alertes pour admirer les oiseaux. 3 martins-pêcheurs effleurent l’eau, je vois un « Coucou-écureuil » (Squirrel Cuckoo) de toute beauté avec sa longue queue noire et blanche et son corps doré comme un écureuil. Il a la particularité de sauter de branche en branche comme un écureuil. Lors d’une petite pause, un colibri vient sucer le nectar de petites fleurs rouge. Nous profitons de ces 5 secondes pour l’admirer, ce tout petit oiseau. Plus tard nous voyons des Geais à crête très beaux, avec une longue queue qui augmente leur charme lorsqu’ils volent. L’eau scintille à la lumière du matin, ça donne envie de se jeter dedans mais nous avons trop soif. Nous avons fini notre eau la veille et nous n’avons plus trouvé de résurgence pour remplir nos bouteilles. On a la bouche

sèche ! Nous rencontrons un pêcheur avec un masque qui plonge dans le courant, dans la tranquillité matinale. Il nous parle en mâchant ses mots, un vrais paysan, mais Charlie s’en sort bien dans sa compréhension.

« Andan pa’la colonia ? » ( étrange façon d’appeler un hameau) « Nous allons à Pacu » répond Charlie, en ayant deviné sa question. « Nous venons de Chorro grande » compète-t-il ensuite. « Dis donc, mais c’est loin ça », le pêcheur est surpris d’apprendre que des touristos ont pu descendre les gorges. On sent que nous approchons de la civilisation. Pacu n’est qu’un hameau comme là où nous sommes entrés à Union y Progreso mais malgré tout, on sent des traces de civilisation. On sort par un pont fait de grillages et de barres à bétons. « Je crois qu’il n’y a pas plus lourd pour faire un pont de singe ! » s’étonne Charlie. De l’autre côté deux jeunes garçons à dos de mulets passent en jean, pull, casquette et capuche par-dessus, sous ce cagnard, avec deux autres mulets sur lesquels ils ont chargé du bois.

« Pacu ? » je leurs demande pour savoir s’il faut prendre la piste vers la droite ou la vers la gauche. L’un d’eux me pointe du doigt la direction à suivre. C’est la même que la leur. On marche deux kilomètres derrière eux, jusqu’à Pacu, où nous faisons halte au premier « abarrote » (mini épicerie).

« Vous avez de l’eau ? » La ruelle s’arrête de travailler et tout le monde nous regarde. On se sent encore comme des ovnis. La fille qui devait me servir recule, timide, et appelle un gars qui vient nous répondre « Je n’ai plus d’eau, il faut la faire bouillir ». J’ai la bouche tellement sèche, on marche depuis ce matin en ayant une de ces soifs. On ne s’est même pas fait de café pour démarrer la journée. « J’ai des petits jus si vous voulez » Il me montre des briquettes de jus de pomme de 10cl ! J’ai envie de tout rafler, j’en prend 4 et nous nous asseyons dehors, à l’ombre d’une maison, sous le regard de toute la ruelle. Je m’empresse d’ouvrir ma briquette pour boire pendant que le jeune nous mitraille de questions « Vous venez du Boquerón? » (Nous supposons qu’il parle des gorges) « Oui, nous sommes entrés par Progreso » répond Charlie, qui contient mieux sa soif que moi. Je m’efforce de sourire et d’acquiescer, alors que la petite foule de la ruelle écoute nos questions et réponse. Ils sont étonnés que des blancs-becs soient ici, et qu’ils aient pu descendre les gorges.

« Mais comment avez-vous su où sortir ? » demande le jeune de l’épicerie. « Ben il y avait un pont, et on savait que ça devait être la sortie » je réponds, étonnée du sens de sa question, entre deux gorgées de briquette. On marche au bout du hameau, par chance on trouve une autre épicerie qui a de l’eau et au même moment le VW qui part pour Tuxtla fait la tournée du hameau pour partir. On saute à bord, il y a déjà une vieille dame à l’arrière. Elle nous raconte que la pêche permet de nourrir les habitants du village de Pacu, et que le Suchiapa est une bénédiction pour les villageois. Bien sûr, j’imagine bien...

Arrivés dans le centre ville de Tuxtla, dans la rue la plus animée de la ville où paysans, commerçants, citadins se retrouvent, les vendeurs ambulants vendent des boissons et de la nourriture à d’autres vendeurs ambulants, c’est presque un écosystème ! On se fraie un chemin à travers tout ce monde et ce brouhaha jusque chez Augustin, à 40min de marche de là. Enfin on va pouvoir se doucher, s’enlever toutes ces tiques et boire un bon café ! Demain c’est le week-end, on doit retrouver notre club de spéléo pour faire une sortie !

Le Huanacaxtle, arbre aux fruits « en oreilles d’éléphant »

Papillon bien camouflé

Sur la passerelle en fer, exutoire vers Pacu

SAMEDI 13 FÉVRIER, Tuxtla

Bon ben on nous abandonne. Les gars avaient pour mission d’organiser quelque chose pour ce week-end, rien. J’ai proposé une sortie pour les motiver, que dalle. On est déçus, on attendait ce week-end avec joie ... Rien ne me déprime plus que d’être en voyage et de ne rien faire. Bon, faut le prendre bien, on va se reposer un peu. Charlie va pouvoir se remettre de toutes ses morsures de puces et de tiques (sa peau est exquise, que voulez- vous ... La mienne en revanche, j’ai à peine eu deux dizaines de petits squatteurs !). On passe une bonne journée de glande à laver nos vêtements (ou plutôt les rincer, le système de lave-linge est plutôt un rince-linge qu’un lave-linge). On prend le temps de trainer, d’aller boire un café-frappé en ville, d’acheter du café au cafetier qui nous vend aussi du miel de caféier. On a aussi le temps de passer au marché acheter de bons légumes pour que Charlie nous fasse sa délicieuse recette de ratatouille. Miam, en quelque bouchée nous sommes dans le sud de la France ! Abandonnés à notre sort donc, nous réfléchissons à ce que nous pourrions bien pouvoir faire, le temps d’organiser nos prochaines expéditions. On en a pas encore fini avec le Chiapas, il reste des gros projets en suspens avant que nous levions le camp. Il nous faut nous activer, nous organiser ...

La maison d’Augustin c’est la blanche

DIMANCHE 14 FÉVRIER, San Cristobal

Une recommandation récurrente dans le Chiapas, à peine arrivés à Tuxtla, était d’aller visiter San Cristobal de Las Casas. Nous profitons de ce contre temps pour aller passer une nuit là-bas. La raison qui nous motive le plus est qu’il y a une micro-brasserie qui fait des bières artisanales. San Cristobal est situé à 2200m d’altitude. On ne dirait pas mais le petit bus monte gentiment jusqu’à ce village très apprécié des colons, car ils ne supportaient pas la chaleur étouffante de Tuxtla. Le village a gardé l’architecture colon, les petites maisons de pleins pieds sont charmantes, avec leur magnifique petites cours intérieures pleines de végétations, de vieilles pierres, de vieilles portes en bois, leurs toits en tuiles fignolés. Le village est propre. Habituellement il est très prisé des touristes mais on voit bien qu’avec la pandémie, on ne rencontre que très peu de nos congénères. Je me régale d’admirer cette belle ville et de n’avoir rien d’autre à faire que de découvrir des charmants petits coins de rue, arrière-cour et bonnes adresses. Nous sommes dès notre saut du bus marqué par la présence de la population de Tzotziles, un groupe indigène local d’individus très petits, dont les femmes portent encore le vêtement traditionnel. Ils ont un visage très rond, les cheveux noirs jaies et longs. Les femmes portent une jupe en laine noire qui arrive jusqu’à mi molets, ou bien une jupe feutrée évasée, elles sont souvent en tong, elles portent un foulard en guise de ceinture, un haut en satin qui met en avant leur poitrine et un châle coloré ou un gilet par- dessus. Elles ont souvent les cheveux très longs coiffés en natte et colorés (en bleu par exemple) ou avec des tressages en coton (en vert par exemple). Elles portent un foulard noué à l’épaule en guise de sac à dos, qui leur permet de ranger leurs emplettes, leurs marchandise à vendre, ou leur bébé dont rien ne dépasse ni même la tête, on le devine seulement quand un pied dépasse de temps en temps. Les Tzotziles ne sourient pas, ils évitent plutôt notre regard. La plupart sont vendeurs ambulants, de choses ou de nourriture, ou bien ils mendient dans la rue. J’espère que dans leurs villages ça se passe mieux. L’auberge où nous passons la nuit est d’ailleurs tenue par une Maya Tzotzil, très timide. Il semblerait que sa famille vit avec elle dans l’auberge. D’un autre côté les Mexicains tiennent les business. Comme vous savez, la chrétienté a fait des ravages en Amérique Latine, hébergeant le plus grand nombre de croyants au monde. Ce qu’on ne dit pas, c’est que chacun interprète la chrétienté comme il l’entend. Aussi, les Tzotzils ont-ils adopté la chrétienté en voyant dans la croix non pas le Christ mais l’image de l’arbre de la vie, le Grand Ceiba ralliant les trois mondes (inframonde, terre et céleste). Aucun Christ crucifié donc. Ils ont aussi adopté les églises, dans lesquelles ils ont retiré l’autel et les bancs. Ils célèbrent la messe agenouillés sur un tapis de végétaux, ils prient et pour accompagner les défunts dans l’autre monde, ils égorgent un poulet pendant la séance, au beau milieu de la salle ! Ils ont également gardé les statuts des Saints, lesquels ils ont habillés pour qu’ils soient plus jolis. Une fois par an, ils leurs mettent un nouvel habit par-dessus l’ancien, ce qui rend les Saints de plus en plus boudinés ! Qui l’eût cru que la chrétienté aurait-pu être si hilarante !

On déjeune dans un patio qui ressemble à une serre tropicale, au milieu pousse un gros bananier, des palmiers, des plantes vertes en tout genre, avant de flâner dans les rues de San Cristobal, lui qui n’a rien d’un Saint. La culture de l’ambre est très présente et nous profitons d’être ici pour visiter un petit musée dédié à l’ambre, cette résine devenue minérale et qui nous permet de voyager 25millions d’année en arrière. Dans les gouttes de cette résine se sont retrouvés piégés de nombreux insectes : papillons, moustiques, abeilles, mouches, tipules mais aussi mantes religieuses, et même des petits lézards. Nous observons ces insectes à l’aide d’une loupe et voyageons dans ce que devait être la forêt primaire et la vie de la petite faune de l’époque dans le Golfe du Mexique. Après quelques bières artisanales, un vrai morceau de viande avec une bonne bouteille de vin mexicaine, on ne peut pas aller se coucher avant de rentrer dans une de ces « Agaveria » pour goûter le Mezcal ! Charlie en goûte deux et étonnamment, certaines saveurs de la maturation du Whisky ressortent.

Allez au dodo, pour être en forme pour vivre de nouvelles aventures !

Le patio d’un hôtel-restaurant de San Cristobal

Une rue de San Cristobal

Charlie à gauche, une femme Tzotzil à droite

Une mante religieuse d’il y a 25 million d’années, emprisonnée dans la résine.

La place centrale de Cristobal se transforme en marche le soir

LUNDI 15 FÉVRIER, Tuxtla

Retour à 600m d’altitude, dans la fournaise de Tuxtla, le combo semi gueule de bois et chaleur ne fait pas bon ménage ! Et c’est la déprime, une fois de plus nos plans tombent à l’eau. J’encourage les Mexicains sans relâche pour qu’on sorte en spéléo, je leurs propose des plans en tout genre mais il y a toujours une raison pour ne rien faire. C’est fatiguant de lutter tout le temps. Je crois que j’abandonne pour aujourd’hui. On baisse les armes, on se repose. Il reste deux projets que je souhaite vraiment mettre en place avant de partir du Chiapas : la traversée du plus gros système du Chiapas connu aujourd’hui : la Cueva la Venta, qui fait 13km de traversée souterraine en partant du plateau de Adolfo López Matteo, et en ressortant dans les Gorges du Rio la Venta, 500m \240plus bas. Les mexicains le font en 3 jours, avec un guide. L’autre projet est de descendre en kayak les Gorges du Rio la Venta, en 6 jours, en parfaite autonomie. Ces deux grands projets nécessitent pas mal de logistique, de déplacements et de contacts.

MARDI 16 FÉVRIER, Tuxtla

« ELLLLL GAAAAAZZZZZZ ! » braille une première camionette à 7h00 du matin, en passant dans les ruelles du quartier à deux à l’heure, « EEEEEEL GAAAZZZZZ » retentit-elle sous notre fenêtre, en faisant trainer EXPRES à l’arrière une chaine avec des anneaux de fer sur le goudron ! C’est à qui fait le plus de bruit, à notre grand désarroi : mais QUI va acheter du gaz à cette heure-ci ? Suivent les nombreux vendeurs de tortilla à motos qui klaxonnent « Tut tut tut tut », puis le vendeur de Tamales en moto avec un morse différent « Tut Tut tut-tut- tut ». Le vendeur de Yaourts déambule à pied en tirant sa glacière à roulette et en tournant sa crécelle (laquelle est, heureusement, tellement usée, qu’on ne l’entend plus trop). Et les vendeurs défilent sans s’arrêter de notre lever jusqu’à notre coucher : « REPARAZAPAAAATOOOOOS » répète d’une voix très grave le cireur de chaussures, suivi de la brocante en pick-up « SE COLECTA SUS CUADERNOS VIEJOS, SUS CAMAS VIEJAS, SUS LAPIZES VIEJOS, SU LAMPARA VIEJA, ... », le collecteur de bonbonnes d’eau vides en tricycle en braillant

« AGUAPURIFICADAAGUAPURIFICADAAGUA... » suivi de la camionette qui porte les bonbonnes d’eau potable pleines avec, elle aussi, une chaine de fer qui traine à l’arrière. Le jeune avec son sac à dos qui crie sur le pas des portes « ARREGLO SILLAS, ARREGLO MESAS » pour réparer les chaises et les tables. Le vendeur de bananes cuites au charbon passe avec (tenez vous bien) son feu et son charbon ambulant dans un bidon de fer à roulettes, en faisant un long sifflement de locomotive perçant. Il y a aussi celui qu’on n’arrive jamais à rattraper, le vendeur de maïs en tricycle qui passe avec sa petite chanson « MMMMH, RIQUISIMOS

ELOTES CALENTITOS » pour annoncer ses épis de maïs chauds servis avec du fromage fondu et du piment qui me font tellement envie, mais pourquoi passe-t-il à 17h ? S’ajoute au tintamarre le martèlement continu des maçons, les feux d’artifices certains soirs et les chiens de la rue qui, d’un coup, se mette à aboyer en concert. Ils sont fous ces mexicains, même dans un quartier résidentiel, ils ne vivent jamais dans le calme. On est contents de ne pas être dans le tohu-bohu du centre ville.

Je passe ma journée de repos du mardi à mobiliser nos contacts pour que nos projets, de plus en plus grande envergure, se mettent en place. Mais la lenteur des choses est désespérante. Heureusement notre ami Emanuel, ayant dégoté un petit boulot à côté de chez nous, vient nous distraire ce jour-ci. Il vient prendre le café avec nous le matin, à midi (15h) il nous invite à manger et nous emmène toquer aux portes pour trouver des chambres à air en prévision de notre descente du Rio la Venta (les kayaks étant trop lourds à porter sur les zones où il nous faudra marcher). Il nous offre en plus un petit goûter (bon il passe sa vie à manger quoi, c’est pas pour rien qu’il a arrêté la spéléo !). Le soir Augustin nous a même préparé à manger pour qu’on goûte les chayotes (légume mi-patate mi-courgette). Je suis déprimée au plus haut point, aucun de nos projets convoités ne va aboutir on dirait. Mais une idée de génie m’est venue à l’esprit : on vit chez un Garde forestier, il a travaillé une grande partie de sa vie au parc National du Triunfo, à combattre les incendies, à mettre en place des travaux avec les communautés, à défendre et à comprendre la nature. Mon chéri a besoin de forêt, de grands espaces, de liberté et surtout pas de stress. Pourquoi ne pas aller camper quelques jours en forêt ? Augustin est très enthousiaste à notre proposition « D’accord, laissez moi passer quelques coups de fils pour

organiser tout ça » répond-il enjoué. Augustin c’est notre aide, pour tout ce qu’on lui demande, il passe toujours quelques coups de téléphones très utiles, ils nous aident à interpréter le monde et les us-et-coutumes mexicains, c’est une grande aide et une belle personne. Il se réjouit à l’idée de retourner au Parc, il n’y est pas retourné depuis 5 ans et la forêt lui manque. Une heure plus tard l’excitation est à son comble « C’est bon les gars, j’ai tout organisé. Départ 5h du matin demain ! Le parc nous prête gratuitement une voiture pour nous emmené jusqu’au pied du Parc et ensuite on monte à pied au « campamento » ». J’y crois pas, un plan qui se concrétise en moins de deux ? Sans parler de problèmes de logistiques, d’argent, de délais ? Mais c’est fantastique ! On est excités comme des puces ! Charlie et moi nous chargeons de faire les courses pour ces 3 jours de bivouac, Augustin gère la logistique, nous préparons nos sacs de rando pleins d’entrains, on va voir la forêt, la vraie, respirer, on est tellement excités qu’on en dort pas de nos 4h de sommeil !

Un vendeur ambulant passe dans notre quartier

MERCREDI 17 FÉVRIER, Parc National du Triunfo

« Tut Tut » Le taxi est à 4.45am devant chez nous pour nous emmener dans un autre taxi qui roule pendant 2h à fond la caisse sur le goudrons jonché de nids de poules jusqu’à un croisement au sud de l’Etat où un camionette du Parc nous attend effectivement. Le soleil se lève sur le lac de la Angostura, la brume flotte sur ces terres karstiques, le paysage est de toute beauté, mais sec. Nous avons hâte de voir du vert, de l’humidité ! L’ancien collègue de Agustin est très heureux de le retrouver et ils papotent à l’avant sans discontinuer pendant que Max, Charlie et moi admirons le paysage depuis la benne à l’arrière, à la vitesse maximale que la piste de terre nous laisse avancer. On s’enfonce dans la forêt, encore et encore, 2h durant. On a droit à une escale car on a faillit perdre la roue avant (il ne restait qu’un pas de vis sur les boulons !) et une deuxième pour souder un truc en métal qui avait pété ! On a profité de cette deuxième escale pour aller petit-déjeuner à la grillade de poulet du restaurant. Des poulets en masse étaient effectivement en train de griller au charbon, plusieurs familles des fermes voisines sont venues prendre leur petit déjeuner à cette adresse où le mobilier consiste en tables et chaises en plastique dans la poussière de la piste. Les regards nous dévisagent mais après un grand sourire, nous recevons des sourires en retour. « Vous êtes espagnols ? » nous demande le jeune qui nous sert notre poulet entier pour nous 5 (au petit dej c’est copieux ! Ouf y’a aussi du café !). « On est Français » nous lui répondons, mais je crois qu’il ne voit pas trop la différence entre la France et l’Espagne, tout ces pays, en gros, c’est l’étranger. Une femme d’une ferme, particulièrement jolie, elle avait un joli visage malgré ses dents réparées. Attablée avec sa ribambelle de bambins, l’un d’eux au sein, elle nous offre les tortillas qu’elle a faite ce matin même avec ses propres mains comme elle dit, ainsi que sa propre purée de frijol (haricots noirs) de ses champs, pour accompagner notre poulet. Ils sont très généreux et accueillants dans ce petit hameau. Elle nous demande « Mais vous venez de la ville à l’instant ? » Agustin répond donc à l’affirmative et elle s’étonne «(Vous venez de la ville et) Vous n’avez même pas amené de poussins ? » Tiens donc, quelle étonnante remarque, je retiens pour la prochaine fois qu’en arrivant dans les villages reculés, on peut offrir des poussins !

1h plus tard la pièce est soudée et nous repartons, en prenant à notre charge cette dépense imprévue. Il est bizarre ce pays, ils se paient tous les uns les autres. Imaginez si votre covoiturage tombait en panne et que vous devriez, en tant que covoitureur, payer la réparation ? Ca ferait bizarre. Ainsi soit-il. Nous arrivons à la finca de Custapec au terminus de cette longue piste, au pied du Parc National du Triunfo. Une Finca au Mexique c’est un très grand Ranch où les employés vivent sur place et où l’ensemble de la communauté est autonome, même en énergie. Ils vivent reculés et en autarcie, avec leur propre école et église. Les récoltes sont réparties entre tous, les maisons des ouvriers sont alignées et identiques, l’image même du paternalisme. La finca est bien entretenue, avec une petite place pavée et une fontaine qui coule au centre, chose que nous n’avons jamais vu auparavant. Le père fondateur, qui habite dans « la casa grande » (la maison mère) traite bien ses employés, ils ont même organisé un système de canaux pour que l’eau arrive aux maisons, chose unique également jusqu’à présent. Les employés et les paysans s’y sentent tellement bien que cette Finca est une des rares à ne pas avoir été mis à feu et à cendre lors du mouvement de Guerilla des Zapatistes (révolte paysanne pour récupérer les terres début 2000). Ici nous récupérons l’aide-gardien du refuge où nous allons, le Guarda Parque nous conduit avec sa camionette le plus haut possible dans les plantations de café, jusqu’à ce que la camionette ne puisse plus, de là nous continuerons à pied. On respire, il y a du relief, du vert (pas encore si vert que ça), pas de plastique, des chants d’oiseaux, on va se régaler ! On se met alors en marche, nous montons guidé par notre jeune apprenti-gardien, sur les sentes qui nous mèneront au refuge, à 1800m d’altitude. Au fur-et-à mesure que nous montons, nous changeons d’ « étage climatique » et passons de la « Forêt Moyenne » à la « Forêt Haute » puis à la forêt de « Pins et Chênes » où on trouvera notre refuge et son gardien, au pied de l’étage connu comme « Le Bosque de Niebla » (la forêt (baignée dans la) de brume). Les arbres sont de plus en plus hauts, ils se font colonisés de Bromelia et d’orchidées, de fougères et de lianes, les transformant en véritables petits jardins suspendus. Nous avons la chance d’apercevoir un Tucaneta (petit Tucan) et à 14h nous rencontrons Ramiro et ses 2 mules, l’authentique Garde Forestier passionné, fils de Garde Forestier et, tenez- vous bien, né au cœur du parc quand ses parents avaient encore le droit d’y vivre et que son père a fait de cette forêt si riche, un Parc National. Le Triunfo est un des derniers refuges du Quetzal, cet oiseau bleu à la tête touffue et à la longue queue envoutante. Il est aussi le refuge du Pavon Cornudo, une espèce de dindon sauvage qui produit son cri grâce à la résonnance que lui procure sa corne rouge (un peu comme le casoar australien). Quelle chance si nous pouvions admirer ces oiseaux. Le parc est très connu pour venir faire de l’observation d’oiseau et des études scientifiques. D’ailleurs on a un bol de fou car, en tant que touristes, si ce n’était pas grâce à Augustin, nous n’aurions pas le droit d’être là. Ces campements sont réservés aux biologistes, photographes et aux scientifiques, ce ne sont pas des refuges comme en France. « Il fait encore froid, les Quetzals ne chantent pas encore, je ne sais pas si on aura la chance de les voir » nous annonce Ramiro, en tenue de camouflage. Nous faisons connaissance et passons la soirée à observer tous ces clichés, quelle richesse incroyable, dire que nous sommes au cœur de cette nature préservée et foisonnante : Quetzal, colibris, dindon sauvage cornu, serpents Nauyaca bicolore, Tucan, Tucaneta, Motmot (famille du Pajaro Reloj), cousin du Quetzal, tous les oiseaux y passent, c’est magnifique. « On met aussi deux fois par an une caméra pour nos études » ajoute Ramiro, voyant notre enthousiasme devant ses clichés. « Oh, montre-nous stp ! » l’encourageons-nous en chœur, attablés à la table en bois dans la petite cabane qui fait office de cuisine/salle à manger et qui est plus chaleureuse que le refuge en béton. Le règne animal se dévoile devant les prises nocturnes de la caméra, au moindre mouvement, la caméra thermique et infra-rouge se met à filmer : des pécaris (petits sangliers zébrés), encore des familles de pécaris qui nous éclater de rire et déguerpissant à la moindre feuille qui bouge, des marsupiaux inconnus, des mammifères inconnus (comme un mini cochon à gros cul trop mignon) qui laissent place à un énorme tapir solitaire de temps en temps qui agite sa petite trompe molle dans les feuille, et le puma qui laisse sa trace d’urine et se déplace si élégamment dans cette selva. C’est incroyable, tout ce monde entoure notre petite tente que nous avons montée au campement, mais malheureusement on ne pourra pas le voir, on pourra seulement profiter de notre chance d’être ici, dans la conscience de vivre dans un petit coin de biodiversité si préservé.

Max, charlie et moi dans la benne vers le Triunfo

Direction le campement

Enfin une forêt avec de grands arbres

Le campement, au cœur du Parc

JEUDI 18 FÉVRIER, Parc du Triunfo

Petit déjeuner à 6am, à 7am notre garde forestier nous emmène faire un tour en forêt dans le silence le plus complet, pour tenter de voir le Quetzal. Notre petite troupe se met en marche en fil indienne, dur de ne pas faire de bruit sur le tapis de feuilles. De temps à autre il s’arrête pour raconter telle anecdote sur les travaux d’étude qu’il doit mener en tant que Garde Forestier, et il nous donne le plus d’indices possible sur le Quetzal : il mange le fruit du cousin du figuier et l’aguacadillo, il creuse son nid de reproduction dans ces deux arbres, qui sont plus tendres à creuser. Imaginez, pour pouvoir faire rentrer les plumes de sa queue qui atteignent jusqu’à 1m20, il doit creuser un trou d’au moins 50cm. Parfois, quand il est dans son nid, on voit sa queue dépasser du tronc d’arbre ! Quel bon indice, mais il faut avoir l’œil. On entend le Quetzal, on aperçoit la femelle cousine du Quetzal, mais impossible de voir l’emblématique oiseau du parc, c’est encore un peu tôt. La période de reproduction ne commencera qu’en mars. Chemin faisons, nous montons jusqu’à atteindre le dernier étage connu ici comme le « Mesofrio ». C’est le plus vert, les plantes deviennent grâce, les orchidées et les bromélias foisonnent, nous sommes sur une crête à 2200m d’altitude, l’air est frais et les rayons du soleil sont agréablement doux, nous voyons d’un côté jusqu’à l’océan pacifique, qui n’est qu’à 20km à vol d’oiseau, et de l’autre une immensité de reliefs verdoyants. On voit même notre refuge 500 de dénivelé plus bas. Charlie et moi avons envie de plus, c’est 11h, continuons la balade. Notre équipe se scinde alors, le Garde nous laisse continuer jusqu’au « Sommet du Quetzal » à 2500m d’altitude avec notre apprenti-garde, pendant que Agustin et Max rebrousse chemin avec le Garde. « Surtout faites très attention, il y a une crête vertigineuse, les rochers ne sont pas très bons, d’habitude je ne laisse jamais personne partir dans le Parc, c’est interdit » nous prévient Ramiro. Mais très vite Agustin le rassure « Oh ne t’inquiètes pas pour ces deux là, ils ne risquent rien ! Si je te dis que ce sont des experts des grottes ! ». Agustin, toujours là pour nous soutenir. Mon Homme de la Nature est heureux : les plantes grasses, les belles orchidées, la grande vue, le petit passage de crête (effectivement !), c’est beau, à nous le Sommet du Quetzal à défaut de voir l’homonyme roi de ces lieues. On gambade, le sommet n’est pas si loin. De là-haut on voit des lacs, l’océan et la forêt en relief à perte de vue, que nous dominons presque depuis notre panorama à 360°. On voit même quelques cascades, le potentiel de canyons en terres Chiapanèques est certains mais personne ne s’est encore aventuré à les ouvrir. Il faudra revenir le faire, un jour ... La redescente est très pentue, on descend presque 800m de dénivelé en glissant dans les feuilles mortes et en nous rattrapant aux troncs des arbres pour par dégringoler droit dans la pente. On entend multitudes de chants d’oiseaux, combien de temps faut-il pour les reconnaitre tous. On en enregistre certains pour questionnera Ramiro en rentrant au campement, une odeur de mammifère nous envahit un temps les narines, l’assistant-Garde nous montre un indice du passage d’un puma : un petit trou fait dans la terre avec les pattes arrières après avoir fait gicler son odeur, on admire quelques oiseaux, dont un autre Tucaneta, mais toujours pas de Quetzal en vue. On voit de plus près la femelle cousine du Quetzal. Un bruissement dans la forêt nous laisse espoir d’apercevoir un animal sauvage, mais ce n’est qu’un « Pigeon-perdrix », un gros pigeon des bois qui farfouine bruyamment dans les feuilles et qui n’a pas l’air de beaucoup voler. Ramiro nous trouve un autre jeu pour la fin d’après-midi au campement : on monte sur le toit du refuge en béton, qui en cette fin d’après-midi est agréablement chaud, et, armés de nos jumelles, nous nous mettons à observer les diverses espèces de colibris qui habitent les arbres autour du campement, qu’est ce qu’ils sont rapides ! C’est un beau moment, tous les 5 sur notre toit à regarder nos colibris. Un moment d’absence à la toute fin du crépuscule, et les Gardes Agustin et Ramiro ont la chance de voir passer le resplendissant Quetzal, d’admirer son vol avec son incroyable queue flottant derrière lui ! Nous cuisinons pour tout le monde le soir à la cabane, les discussions sautent du coq à l’âne, chacun y va de son récit, de son expérience, au crépitement du feu qui nous sert de gazinière. Quand Ramiro nous raconte sa traversée clandestine de la frontière, du mur séparant le Mexique des USA. Tout cela est parti de notre sauce napolitaine improvisée qui lui a rappelé le restaurant italien dans lequel il a travaillé « illégalement » pendant plusieurs années. Ce qui m’a le plus étonné dans son récit, c’est que pour lui il est tout à fait normal de traverser la frontière comme ça, étant donné que ce n’est juste pas possible de le faire légalement pour un Mexicain. Donc en gros, ils se font lâcher dans le désert par un passeur, pas très loin de la frontière et à un endroit où il n’y a pas de « mur ». De là ils attendent que la nuit tombe, et en pleine nuit ils se mettent à marcher jusqu’à être de l’autre côté de la frontière. La première fois tout s’est tellement bien déroulé, qu’il a osé rentrer au Mexique pour chercher sa femme deux ans plus tard (en abandonnant les enfants aux grands-parents) pour repasser la frontière avec elle. Manque de pot, la deuxième fois a été plus tourmentée : ils se sont fait lâcher à nouveau dans le désert, mais cette fois-ci ils ont dû marcher plusieurs nuits, à la frontière ils sont tombés sur des gardes et des chiens qui les ont coursé, mais heureusement ils étaient une vingtaine, donc eux ont réussi à continuer de courir, pour se planquer dans une faille et attendre qu’i y ait moins de monde avant de ressortir. Des vraies histoires de film. A mon grand étonnement, une fois aux States, bien qu’illégaux, ils ont le droit d’ouvrir une compte bancaire, d’acheter une voiture et quand ils repassent la frontière dans l’autre sens avec leur pick-up acheté là-bas, aucune question, aucun contrôle. Ils ont donc pu rentrer retrouver leurs filles 4 ans plus tard, s’acheter une belle maison et avoir un niveau de vie plus décent qu’avant. Maintenant notre Garde est paisible et heureux d’être dans son Parc une semaine sur deux, loin de tout, sans réseau, juste avec ses oiseaux et à traquer les moindres crottes, griffades et traces de mammifères. Après une vie pareil, ça doit faire du bien de revenir aux sources.

Dans le bosque de niebla, les arbres sont de vrais jardins suspendus

Vue panoramique au sommet du Cerro du Quetzal, 2500m

Tour d’observation des colibris depuis notre toit avec Don Ramiro

Le meilleur cuisinier apprivoise son nouveau fourneau!

VENDREDI 19 FÉVRIER, Parc du Triunfo

Neblina ! Un gros brouillard épais nous embaume, nous et la forêt, le « bosque de niebla » prend forme et devient comme je me l’imagine, de grands arbres, une végétation dense, enveloppée dans une brume constante, humide, fraiche. Cela n’empêche pas les oiseaux de chanter, mais nous on ne peut plus les voir. Ramiro profite de cette météo qui donne envie de trainer pour faire des tortillas maison ! L’assistant-garde rigole de voir un homme cuisiner. « Ahah » rigole Ramiro avec bienveillance à la réflexion de son jeune poulain, « Quand on bosse en refuge, il faut savoir tout faire petit ! ». Il prépare sa pâte avec une farine de maïs et de l’eau chaude, il sort sa presse en fer (qui sont en fait deux plaques de fer ronde, de la taille d’une tortilla, avec un levier pour presser), et se lance dans la confection de tortillas qui, au fur-et-à-mesure qu’elles sont pressées, suivent leur chemin sur la grande plaque de fer, saupoudrée de cendres, sur le feu. Pendant ce temps Charlie apprivoise les mules qui ont l’air de ne guère apprécier les humains. Il invente divers jeux pour les attirer, dont mon préféré « Qui mord en premier ? ». Il est temps de redescendre de notre perchoir, avec regret, on aurait bien continué de traquer le Quetzal, mais demain c’est samedi, et normalement on a prévu d’aller bivouaquer à une grotte avec notre groupe de spéléo jaguar... La transition va être rapide. Nous redescendons donc les étages climatiques, en quittant petit à petit la brume, le mesofrio, le bois de pins et de chênes, la selva alta, la selva media et les cafetiers jusqu’à la Finca Custepec, où les travailleurs passent péniblement avec des sacs de café qu’ils portent grâce à une ceinture posée sur le front et les mains qui soulagent un peu le poids dans le dos. Ces sacs font entre 80 et 120 kg ! Ils sont petits mais trapus, j’en reviens pas qu’ils arrivent à les porter. De véhicule en véhicules nous sommes ballotés de hameau en hameau jusqu’à atteindre Tuxtla en fin d’après- midi, dans les starting-blocks pour refaire les sacs pour notre bivouac et laver nos vêtements. Mais non, nous sommes libérés de notre course contre la montre, qu’est-ce qu’on croyait ? Nos chers spéléos se sont démotivés, si on ne prend pas les rennes, tout s’écroule. Bon tant mieux, demain c’est cool, repos

Qui mordra en premier ?

Tiens, quelqu’un veut aider à faire la vaisselle !

Ramiro nous prépare des tortillas avec sa presse

L’enchantement du bosque de niebla, foret de brume

SAMEDI 20 FÉVRIER, Tuxtla

Alors ... reprenons la logistique des expéditions. Les deux mêmes expéditions restent en suspend : la traversée de la grotte de la venta et la descente en kayak de la rivière de la venta. Chacune de ces aventures nous prendra plusieurs jours. Trou trou, pique nique douille .... Allez, il ne va pas faire très beaux ces jours prochains, partons sur la logistique de la grotte de la venta. On avait presque fait une croix dessus, la plupart nous ont démotivé à faire cette grotte : c’est loin, le propriétaire du terrain prend très cher, c’est dur, il y a des risques, et puis on n’a pas la condition physique pour vous accompagner .... Blablabla... blablabla. Emmanuel nous a donné un livre sur l’expédition Italienne « La Venta » qui a découvert ce réseau majeur dans le département, on a vu un autre livre dans le magasin de Tarzan spécifiquement sur cette grotte : les photos sont sublimes, nous, elle nous fait rêver, c’est décidé, on ne va pas faire une croix dessus, c’est maintenant ou jamais. Voici une petite présentation de la grotte (à lire avec une voix de teaser américain) :

« Une traversée souterraine EEEENORME, des siphons INFRANCHISSABLES en cas de niveau d’eau trop haut, des pluies parfois torrentielles sur le plateau, des salles tellement IMMENSES qu’on peut s’y perdre sans s’en rendre compte, un cheminement LABYRINTHIQUE, 3 jours de BIVOUAC avec une issue INCERTAINE, 13 km sous terre et 500m de dénivelé, être accompagné d’experts est INDISPENSABLE, un ENGAGEMENT EXTREME, une fois la première corde récupérée, vous ne pourrez PLUS faire demi-tour... »

De quoi faire des cauchemars, n’est-ce pas ?

Alors c’est vrai qu’on a eu un peu la boule au ventre, si tout ce qu’ils disent est vrai, c’est peut-être chaud. Mais faut prendre en compte plusieurs paramètres : les mexicains rampent en général, ils n’ont pas l’habitude de marcher longtemps, ils n’ont pas l’habitude de filer sur les cordes, ils n’ont pas l’habitude d’être efficaces et puis ce n’est que 13km, on ne va quand même pas mettre TROIS jours ?? On n’y croit pas. Pour cette histoire de siphon, qui est l’obstacle le plus stressant, tout le monde n’arrête pas de dire que les niveaux d’eau sont bas, ça doit être pareil pour cette rivière, la saison des pluies est finie depuis un mois, ça devrait passer. Nous avons tout juste les cordes pour le faire, nous avons même trouvé une batterie externe pour recharger nos frontales, Augustin nous prête deux frontales de secours en plus. On y va !

Le quartier fête bruyamment et toute la journée la Saint Caralampio, entre répétitions de phrases chrétienne en rosario (50 fois, de quoi rendre n’importe qui bargeo), dans la maison la pompe de Agustin turbine pour remonter l’eau jusque sur son toit au 3eme étage, pour remplir son château d’eau personnel (Papa je sais qu’un truc comme ça te rendrait fou, les aberrations écologiques...) Sur ce fond sonore et avec tous ces renseignements, Charlie passe sa journée à bosser la topo, moi à remuer ciel et terre pour faire la première étape de la logistique : contacter le propriétaire, demander le fameux droit de passage. Il aurait pour coutume d’accompagner les spéléos sur ce parcours « extrêmement engagé » (il a été formé techniquement par les Italiens) afin de se dégager un petit salaire de 2000p/pers (rien que ça !) On hallucine, on va négocier pour y aller tout seul et ne pas avoir à payer pour une grotte bor*** ! Contacter le propriétaire n’est pas si facile : il n’y a pas de réseau à la « colonia » où il habite. Il a bien un téléphone collectif, dont Agustin nous procure le numéro. En gros n’importe qui répond et se charge d’aller chercher l’interlocuteur dans le hameau. Cette première technique n’a pas très bien fonctionné. La deuxième technique a été d’envoyer un genre de pigeon voyageur moderne, en contactant quelqu’un à un bled qui capte qui pourrait potentiellement voir Manuel (le proprio) et l’avertir de notre venue. On a envoyé notre pigeon voyageur moderne (encore une fois grâce à Agustin). Puis on a pris notre décision : le plus simple est de se rendre directement chez l’homme, avec notre mini-sac contenant le minimum : baudrier/casque/combi/un change sec/un sac étanche, de la nourriture et un très-mini-réchaud, pour faire la traversée en deux jours et un bivouac. On est sûrs de nous, ça va le faire !

Tentative de beignets à la banane

DIMANCHE 21 FÉVRIER, La Lopez

« Toutes les étoiles sont alignées pour la réussite de votre projet les gars » nous encourage chaleureusement Agustin depuis le pas de sa porte. « Oui, j’espère bien » je lui réponds, « Si jamais ça ne marche pas, ben on sera là demain » dois-je reconnaitre avec d’emblée un peu d’angoisse que ça soit le scénario qui se produise.

« Mais non, il ne faut pas penser comme ça Anaïs, vous allez y arriver, tout va bien aller, vous ne rentrerez que mercredi comme prévu ». Qu’est-ce qu’il est adorable notre Agustin. Au fond de nous, on part confiants, avec nos mini-sacs pour faire notre grande traversée souterraine. On partira du plateau de Lopez Matteo, où habite Manuel, et on débouchera 2 jours plus tard, 13km plus loin et 400m plus bas dans les Gorges du Grand Canyon du Rio la Venta, où il nous faudra tout remonter à pied jusqu’au hameau La Lopez Matteo. On espère arriver tôt au hameau pour résoudre les éventuels contretemps, mais le transport prend trois plombes. On rejoint assez efficacement Cintalapa, un village-ville situé au pied du plateau, mais on s’y retrouve bloqués pour quelques heures. On demande d’où part la camionette qui monte à La Lopez, et on se fait renvoyer comme une balle de ping-pong à travers toute la ville : « elle part de tel coin de rue », « ah non de tel », « ah mais le dimanche elle part du marché », « ah non il vous faut aller là » On se croit à la place d’Astérix et Obélix dans

« La maison qui rend fou » ! Tout ça pour arriver au terminal et louper de peu la camionette qui monte à la Lopez, les boules. « La prochaine est à 17h » nous annonce la jeune fille à l’entrée du terminal vide, complètement désintéressée par notre cas. Putain, ça fait 5h d’attente on a presque le temps de monter à pied ! Ca m’ennuie un peu d’arriver si tard, le temps de négocier avec le proprio, il nous faut aussi trouver un logement dans ce hameau et de quoi manger, on a pris ni tente ni rab de nourriture, on y va la fleur au fusil. Mais c’est bien, comme dit Agustin, faut y croire, il faut provoquer les choses ! Y’a plus qu’à aaaaattendre.

La « colonia » La Lopez est aussi isolée que je me l’imaginais. Déjà ils ont l’électricité c’est pas mal, mais personne n’a ni la télé ni de réseau. Dans ces colonies ils psycothent du covid, on voit des panneaux hallucinant du genre « si vous êtes étranger, symptôme ou non, vous devez vous enfermer 14 jours ». Pfff. Bien sûr on ignore le panneau. Personne ne porte le masque, ni dans le transport ni ailleurs. Ce covid est tellement loin de la colonie. Et pourtant je suis outrée, ils ont fermé l’école primaire, les enfants se retrouvent à devoir travailler dans les champs, à s’ennuyer, les cas de maltraitance à l’enfant augmente à cause de cet enfermement injustifié, ... et ils n’ont pas fermé l’église ! Qui devient le premier lieu de rassemblement ...

Eduqués des manières mexicaines, nous nous présentons d’entrée au comisariado, qui n’a pas l’air d’avoir peur de nous, et qui nous renseigne pour trouver la maison de Manuel : « La dernière maison en parpaing à la sortie du village ». On redemande plusieurs fois notre chemin, et Manuel nous attend devant sa maison en parpaing.


Il n’a pas l’air étonné de notre venue, le pigeon voyageur moderne a fonctionné ! On ne sait pas trop comment entamer la conversation. Alors j’embraye « Nous sommes venus vous demander la permission de passer sur votre terrain pour entrer dans la grotte » « Passez, passez » nous fait signe Manuel. Nous entrons dans la

« maison de parpaing » piètrement meublée. Sur un sol de terre battue il y a une table en bois, une prise électrique, une dizaines de chaises en plastique, quelques sacs de maïs et un hamac. Trois rideaux dissimulent l’accès à trois chambres. Manuel s’assoit, on l’imite. Les enfants s’entassent pour nous observer et chuchoter en rigolant. Le plus grand, Andrès, s’assoit sûr de lui contre la table en bois, les bras croisés. Ils n’ont pas l’air farouches mais ils nous en posent des questions, on est testés ! « Et vous comptez dormir où ? Vous avez quoi comme corde ? Vous voulez y aller quand ? Ressortir quand ? Vous prévoyez combien de temps ? Vous avez de la nourriture ? Assez d’éclairage ? Vous savez que ça peut siphoner ? C’est quoi votre plan B ? Vous êtes QUI ? » « Oui, oui, oui, oui, on a tout prévu, on a tellement bûcher la topo qu’on connait grotte ». En vrai on connait les passages clés dont il nous parle et qu’Andrès nous montre en photo (je le remercie, ça permet de nous situer visuellement), on a même prévu deux relais-secours (personnes de confiance) si jamais on ne donnait pas de signe de vie au bout de trois jours, on est confiants. Epreuve 1 : réussie. Passons à l’épreuve 2 : « Vous savez que l’accès à cette grotte à un coût ? » Tiens, on y vient. « Euh, oui, justement, on voulait voir avec vous ... » Mais Manuel me coupe « Mais moi je ne me sens pas la forme de vous accompagner, car je me suis fait opéré récemment, donc je pensais (Epreuve 3) si vous êtes aussi experts que vous le dites, je vous propose ... d’emmener mon fils faire la traversée. Il ne l’a jamais fait encore ». Euuuh, ben là on est pris de court ! C’est engagé quand même. Andrès nous regarde stressé, il a l’air de s’impatienter de notre réponse. On ne va pas lui dire non quand même. Manuel nous force un peu la main : « Si vous l’emmenez, bien sûr je vous fais payer moins cher, 500p/pers. » C’est sûr c’est moins cher, mais ça reste quand même payer 50€ dans un hameau pour faire une cavité et encadrer alors qu’en France on est payé pour encadrer. Il ne manque pas de toupet l’homme ! Pris au dépourvu, nous acceptons. Après tout, c’est le plus sympa à faire, de pouvoir faire vivre cette expérience au jeune qui voit son père depuis 10 ans accompagner les Italiens et être fier de cette grande traversée. La vie, c’est le partage. Vérifions d’abord si Andrès sait mettre son baudrier. Il s’empresse de s’exécuter, il est rapide, il confirme qu’il est physique, il n’a pas l’air d’être une larve comme le sont beaucoup, il a envie, ses yeux pétilles, on lui parle d’un peu de technique, on lui fait réviser l’installation de son descendeur, tous les voyants sont au vert. « Prépare ton sac avec de la nourriture pour 3jours-2 bivouacs, charge ta frontale, trouve une frontale de secours, des vêtements sacs et une bouteille d’eau ». Andrès est tout excité « Ca fait tellement longtemps que j’ai envie de faire cette traversée. ». Ca fait chaud au cœur de le voir comme ça. Manuel nous donne des conseils supplémentaires, des précisions très flous sur les hauteurs des cascades qui passent de 20m à 78m (ils ne se rendent pas compte des hauteurs, ni du temps) « Vous mettrez peut-être 4h jusqu’au premier campement » puis deux minutes plus tard « Si vous partez à 8h, à 23h vous serez au campement » ! Ouh la, ça fait plus 4h ça. Il nous rassure sur l’équipement : il est bon et très bonne nouvelle, les cordes ont été révisées en 2018, tout est en fixe. Il nous prête sa corde pour les 3 puits d’entrée qui sont à équiper, et il n’y a qu’un obstacle arrosée qui n’a pas de corde en fixe, il faudra donc installer notre corde et la récupérer, à partir de ce point ça sera le plus engagé, car le siphon qui nous laissera passer, ou pas, est encore loin après ... Bon ok. Et pour le niveau d’eau, on peut le vérifier à une petite plage quand nous aurons atterri dans le collecteur (le cours d’eau), après 1h de progression. « Ca ne doit pas faire plus de 20cm » nous dit-il en nous montrant le haut de sa botte sous son genoux... Bon, faut faire confiance à la botte ou aux 20cm ? On verra ... On prendra notre décision sur place. « Et sinon, vous dormez où ce soir ? » nous demande Manuel.

« Ben, on a prévu de demander l’hébergement dans la colonia, il y a des cabanes parait-il » je répond, en me demandant maintenant si cette option est réelle. « Mmh, vous avez une tente ? » « Non » « Si vous voulez je peux vous héberger gratuitement chez moi ». Ah ça c’est sympa, on ne s’y attendait pas ! On vient demander la permission du terrain à un proprio et on se retrouve à dormir chez lui et à embarquer son gosse ! « Et vous comptez manger quoi ? » nous demande-t-il dans la foulée « Ben, on pense demander à manger dans la colonie » je répète un peu bête « Ah, vous savez, avec le covid, les gens vont se plaindre que vous soyez là, il vaut mieux que je vous cache. Vous mangez quoi ? Vous mangez comme nous ? » On se demande si on a bien compris la question ... « Euh, ben oui, nous on est pas compliqués, tout comme vous ». « Ah, d’accord, parce que les Italiens voulaient jamais manger comme nous » me répond il. Ben dis donc, quelle bande d’abrutis ils ne s’adaptent pas trop au pays. Et en fait c’est même pire, après 10 ans d’expé on a appris que les Italiens n’avaient jamais vu où Manuel vivait ! Soit ils s’en fichent, soit ils ne veulent pas voir ... Les filles nous servent notre café avec des petits pains sur la table, nous mangeons sous le regard de tout le monde. C’est un peu gênant mais vaut mieux prendre ses aises. Nous continuons de discuter. On n’ose pas demander la douche ou autre. Finalement Manuel défait le nœud du hamac « Reposez vous quand vous voulez » nous indique t il. Ahah, d’accord, le plan 1 petit hamac pour deux, on va voir comment on va passer la nuit. C’était soit ça, soit par terre. Mais étant donné qu’ils toussent et crachent tous par terre, à l’intérieur de leur maison, depuis qu’on est arrivés, on préfère se serrer un peu dans le hamac. Il a plu ces trois derniers jours, c’est certainement pour ça qu’ils sont tous tombés malades, ce n’est pas bon pour les niveaux d’eau dans la grotte ...

On s’accomode, et la nuit fini par passer ...

Où habite Manuel?

Quelqu’un voudrait bien venir avec nous !

Nous faisons connaissance chez Manuel

LUNDI 22 FÉVRIER, La Lopez

La femme est partie à 6h du matin moudre son maïs qu’elle a fait cuire la veille au moulin du voisin. Tout les matins c’est pareil, elle va moudre son maïs pour préparer ses tortillas à la main. Elle a un grand tabouret qui lui permet de les aplatir en restant debout et de les mettre à cuire au fur et à mesure sur la plaque du feu. La cuisine est dans une petite cabane en bois, sur la terre battue, derrière la maison en parpaing. On voit le jour de partout. Finalement c’est la pièce de vie principale. Derrière il y a pleins d’animaux : cochons, brebis, poules, poussins, ânes et les toilettes au milieu en direct sur une fosse sceptique. La chasse d’eau c’est une grande bassine d’eau avec un sceau. Et le papier toilette c’est un magazine de pub. Pourquoi pas. On déjeune copieusement des produits de la ferme : tortilla avec leur maïs, frijol avec leurs haricots, café avec leur café, on ne peut pas vivre plus local. Il n’y a que le fromage qui vient du voisin. Les parents et les 8 enfants vivent de leurs produits, ils descendent quasiment jamais à Cintalapa, ils ont tout ce dont ils ont besoin dans la colonie. Ils manquent juste d’hygiène, la femme, à 42 ans, a perdu une grande partie de ses dents et a les articulations mal en point. Avec l’école fermée, tous les enfants, de 5 ans à 22ans, bossent à la ferme. Leur seul loisir c’est la messe le dimanche et le mercredi, qui « heureusement » organise parfois des ateliers. La seule musique, qui plait à tous, c’est les chants de la messe enregistrés sur le portable, et d’autres qui sont téléchargés. Le « Christ Missionnaire » est l’air le plus entrainant que j’ai entendu pour passer le balai ! Les enfants ont l’air de s’ennuyer, on apporte un peu de distraction, toute la famille est à nos petits soins ... Manuel nous donne ses dernières recommandations avant de partir dans les champs « Inquiète toi que si tu nous vois pas mercredi à 12h sur le chemin du retour, d’accord ? » je lui demande. « Voilà 500p pour nous 2, ça me parait correct, est ce que cela te convient ? » nous lui demandons franchement, en l’ayant pris à part. Ca a l’air de lui aller. « Ne vous sentez pas obligés d’emmener Andrès, si ça ne va pas, renvoyez le, d’accord ? ». On verra...

Andrès et Eddy gèrent la logistique : Eddy, 11ans, charge nos affaires sur la mule et les attache tout seul comme un grand, Andrès nous rapproche le plus possible du chemin à trois sur la moto. Après 1h de marche aux côtés de notre mule, nous sommes devant Sumidero 2, l’entrée supérieure de notre traversée. Voilà, on y est, c’est 10h, on se lance, prudemment mais confiants.

Nous équipons les trois puits comme prévu avec la corde de 90m de Manuel, c’est un peu juste pour respecter les règles de l’art, mais ça passe. On arrive au bout d’une heure dans le collecteur, Andrès se déplace bien, il est agile, il est même plus rapide que moi. Nous lui faisons quelques ateliers techniques nécessaire mais c’est décidé, on le garde, il fera la traversée avec nous. Vérifions maintenant le niveau d’eau. On est soulagés en voyant la plage en question : l’eau de la rivière nous arrive à la cheville. OUF ! On tombe dans les bras l’un de l’autre de soulagement. Après toute cette logistique, il n’y a plus qu’à profiter, ça va passer. On ne va pas rester coincer du côté du siphon et attendre 3 ou 4 jours que l’équipe de secours vienne nous chercher ! On part plus léger, on ne se perd pas, l’itinéraire est d’ailleurs bien évident, on file, les passages sont variés, la cascade du diable mérite bien son nom, certains passages demandent plus d’attention comme « Le canyon blanc » où l’eau pousse bien, il ne faut pas se vautrer, La main-courante suspendue au dessus « des rapides de Chaac » met une bonne ambiance aussi d’eau vociférante se précipitant dans le canyon souterrain qui nous surplombons grâce à nos cordes. Ca ne donne pas envie d’être dans le cours d’eau, il nous rétamerait. Andrès est très concentré, il retient tout ce qu’on lui dit, il applique le moindre conseil, le parfait élève. On fait escale au Campement 1 du champignon, où Manuel campe habituellement avec son groupe. On y mange un petit sandwich de tortilla et on repart. On a prévu de dormir au Campement 2 dit « Du tapir ». On a de la marge sur le temps, alors on profite, on se concentre pour ne pas glisser dans ces chaos de blocs noirs traitres, on admire les beaux plafonds et les paysages qui changent, et on accélère un peu dans les passages de « sables mouvants » pas si traitres si on ne traine pas dedans. Le passage de « La Cascade du Vent » qui ne devait pas avoir de corde selon Manuel, a une corde d’échappatoire pour si le passage qui siphonne ne nous laisse pas passer. On pourra donc faire demi- tour. On est plus que soulagés. La traversée semble de plus en plus réalisable. Finalement on arrive à une corde de 30m qui remonte jusqu’à la galerie fossile (où l’eau ne passe plus) du Tapir. La corde nous pose quelques problèmes car le dernier qui est monté dessus n’a pas fait attention et elle est coincée derrière un bequet rocheux. Charlie se creuse la tête pour trouver une solution : si on remonte dessus tel quel, elle va se trancher et on sera coincé dans notre traversée. Après une heure de casse-tête, on parvient à la débloquer et on arrive rapidement au campement. C’est 19h, on s’installe pour se reposer, les gars prennent une petite rasade du rhum laissé par Manuel, on fait le plein d’eau et on teste notre minuscule réchaud à l’alcool en gel qui fonctionne sans se presser. Enfin, on ne tarde pas à se coucher. Cette première partie de la traversée s’est bien passée. On dort très bien dans notre sable fin de grotte, avec notre couverture de survie pour couchage et un petit doudou synthétique pour couverture (il fait 22 degrés dans la grotte, vive le Mexique !).

Mère et fille font les tortillas du petit déjeuner dans la cuisine

Eddy transporte nos affaires jusqu’a l’entrée de la grotte

Le campement du champignon

Bivouac au campement du Tapir

La cascade du diable

Le canyon blanc

MARDI 23 FÉVRIER, La Lopez

Réveil dans l’obscurité la plus totale, on allume nos frontales et on lance le café. Aujourd’hui on devrait sortir. Andrès est un peu endolori mais il va bien. Nous on est tout simplement heureux. On lève le camp à 8h20 après avoir troqué nos pyjamas secs contre nos affaires mouillées et nos bottes pleines de sable, c’est reparti pour la progression qui est plus simple techniquement mais un peu plus physique peut-être. Il y a plus de parties de nage, on entre dans une partie du réseau qui a l’air de se mettre en charge (s’ennoyer) complètement. Qu’est- ce que ça doit être plein d’eau tout ça pendant la saison des pluies ! On a la chance d’observer une petite écrevisse cavernicole et une méga amplipige. 4ème méduse, 3ème méduse, 2ème méduse, (les Italiens ont découvert le réseau en remontant, nous redescendons donc leur découverte). La 1ère méduse, nom donné à une formation de calcite en forme de méduse, est celle qui peut siphonner. Si tel est le cas : soit on fait demi- tour (ce qui déprime Andrès qui angoisse à l’idée de repasser une étroiture du début), soit on tente l’apnée sur environ 10m, sans visibilité ni éclairage, à plat ventre entre le sable et la méduse. Fiou, mieux vaut ne pas y penser. On s’approche de notre méduse, le niveau d’eau a l’air haut, ça fait flipper, mais non, en s’approchant bien, il y a bien un passage pour la tête et même le torse ! C’est bon, cette fois ci c’est sûr on passe, on passe même gaiment et embrassons la méduse de l’autre côté, en la remerciant de nous avoir laissé passé. La suite est jolie et s’enchaine vite, la salle du théâtre est richement concrétionnée de draperies et de colonnes, l’air de la Salle de la Cascade est embrumée par la cascade de 1000L qui s’y jette (notre collecteur qui nous a suivi tout du long) et de loin ça y’est, après 26h sous terre, nous voyons la lumière, nous voyons la verdure, la jungle et la rivière aux eaux turquoises translucides du Rio de la Venta dans laquelle se jette notre résurgence de 1000L qui parait petite à côté de ce canyon géant ! Il n’est que 12h, eh ben dis donc, c’était une traversée éclair ! On avait prévu de dormir sur les rives du Rio avant d’attaquer les 5 heures de marche qui nous séparent de la colonia La Lopez mais on est en forme. On prend le temps de se détendre au bord de la rivière, de manger un bout et on attaque la marche. « Mon père ne va pas nous croire les gars, il ne va pas croire qu’on a fait la traversée si vite, il va croire qu’on a fait demi-tour, je vous jure » s’excite Andrès. Il a été top ce jeune. 22ans, il assure. Et encore heureux qu’il est là car, vu le chemin pour ressortir du canyon, on aurait bien galéré à le trouver. C’est de l’escalade dans les strates de calcaires et les racines pendant une heure, et après ça monte ça descend dans la selva jusqu’à déboucher dans les potreros (champs) où les veredas (chemins) partent dans tous les sens. Et là, bonjour pour s’y retrouver ! C’était vraiment un bon deal d’avoir notre petit Andrès. Il marche d’un bon pas, il a hâte de surprendre son père ! Il ne manque pas de nous montrer les pantes et fruits comestibles de la selva, et les oiseaux qu’on entend ou qu’on peut voir. On marche d’un bon rythme, le vert paysage de la Selva del Ocote est sublime, c’est un régal pour le mental et les yeux. Et chemin faisant, sans rencontrer âme qui vive, on arrive à la colonia 3h plus tard, à 18h, en ayant même eu le temps de faire un détour à sa paroi d’entrainement dont n’importe quel spéléo français rêverait d’avoir chez soi ! Effectivement Manuel est atterré, il sourit d’un sourire retenu, la maman a les larmes aux yeux de voir que son fils est rentrés vivants, c’est émouvant. On est accueillis comme des héros, on est chouchoutés. Il va de soi que nous repasserons la nuit avec la famille. Les filles nous emmènent nous « doucher » à l’aide d’un tuyau et d’un sceau situé dans un champ à côté. Elles ont l’air de rester avec nous pendant que nous nous déshabillons « On dirait qu’on va devoir tout leur montrer » rigole Charlie ! « Ouai, c’est clair, ils doivent s’en fichent complètement par ici » je confirme. On garde quand même notre culotte, les filles nous regardent sans pudeur, juste elles sont contentes d’être avec nous, ça les fait rire, ça les distrait. « Vous avez fait quoi aujourd’hui les filles » je discute avec les petites « Rien, travailler. » me dis la pus grande un peu lasse. « Ah bon, et pourquoi tu ne vas pas voir tes copines alors ? » je tente de lui donner une idée de loisir, mais ça n’a pas l’air d’être dans les valeurs « Je ne sais pas » me répond t elle. « Et c’est quoi que tu préfères dans la semaine alors ? » La c’est yeux pétille et elle sourit « La messe le dimanche ! ». Eh ben ... Ca m’estomaque tout autant que la toute petite de 5 ans qui me dit « Si je sais lire c’est parce que Dieu l’a voulu ».

Fin de la douche, on partage une bonne soirée détendue dans la petite cabane en bois de la cuisine, tous entassés dans nos chaises en plastiques et tabouret, avec l’odeur du feu sur lequel la femme cuit nos « doblada » (tortillas pliées avec du fromage au milieu, genre quesadillas) et notre café sucré. La famille est heureuse que nous soyons parmi eux, et nous sommes infiniment reconnaissants de leur accueil et de les laisser nous partager ce moment de vie. Andrès re-raconte dans tous les détails notre aventure, en les faisant rire. Nos sous leurs ont servit, Charlie remarque qu’ils ont acheté une ampoule supplémentaire et du papier toilette est apparu.

Écrevisse troglobie

Le passage siphonnant de la mort

Après 26h sous terre, arrivée dans les gorges de la Venta, fin de la traversée

Pique nique avant d’entamer la marche retour à La Lopez

Un nid de colibri dans un caféier

Paysage de la réserve d’el Ocote

MERCREDI 24 FÉVRIER, La Lopez

Après un copieux petit déjeuner à la ferme, notre seule mission est d’aller récupérer la corde d’entrée de la grotte avant de prendre la camionette qui descendra à Cintalapa à 13h et dans l’élan prendre le bus qui va jusqu’à Tuxtla, déjà nostalgique de notre belle traversée. On a hâte d’enlever nos grosses chaussures mouillées et pleine de boues que nous portons depuis 3 jours dans cet état, nos pieds vont être tous moisis ! La maison d’Agustin parait du luxe exagéré par rapport à l‘humilité dans laquelle vit la famille de Manuel. Pourtant par rapport à chez nous (bon pas par rapport au mobilhome !), le confort de la maison d’Agustin est juste basique. On a droit à un accueil chaleureux de notre ami Emmanuel qui vient toujours nous accueillir en vainqueurs, nous faire rire un moment et s’assurer que nous allons bien. Un vrai ange gardien.

Table du petit dej

Avec la famille Pérez-Diaz

JEUDI 25 FÉVRIER, Tuxtla

Une bonne nuit dans un vrai lit, une bonne journée à trainer et à remettre de l’ordre et de la propreté dans nos affaires, ça ça fait du bien ! Charlie nous chouchoutte en cuisinant les meilleurs banana bread pour tout le monde et moi je pense déjà à l’aventure suivante : la descente du rio la venta, 90 km de rivière encaissée dans des parois de 500m de haut : va-t-on oser le faire ? Va-t-on prendre le temps ?

VENDREDI 26 FÉVRIER, Tuxtla

On dirait que ce plan machiavélique se peaufine, et que les astres sont alignés en notre faveur. La complexité logistique de ce parcours nous rebutait un peu, ainsi que le coût financier, et le temps qui passe ... Nous tablons sur 5 jours de descente. Nous avons étudié le parcours en collectant les avis de nombreuses personnes : Sur quels tronçons faut-il marcher ? Combien de temps ? Comment estimer le temps de descente en flottant ? Où y a-t-il des rapides ? Sont-ils dangereux ? Quelle embarcation prendre ? Quels échappatoires avons-nous ? Il y a plusieurs entrées, mais connaissant les Mexicains, si nous passons sur la moindre propriété privée, nous allons encore nous faire raqueter. Pour les rares sorties c’est la même chose. Le plus simple consiste donc à entrer depuis le pont « Puente de Las Flores » de la grande route, et de descendre l’intégralité du canyon, ses 90km de parcours, jusqu’à l’immense Lac de Malpasso où une barque à moteur devrait nous attendre un jour défini pour nous faire traverser les 30 ou 40km du lac plein de crocodiles. C’est le coût le plus élevé de notre aventure, la barque nous coûtera 2000p (80€). Mais une aventure comme celle-ci, sera-t-elle possible de le faire à un autre moment de notre vie ?

Quand au parcours il est relativement simple : le début il n’y a pas trop d’eau il nous faudra principalement marcher les 30 ou 40 premiers kilomètres. Ensuite ça deviendra plus profond et nous pourrons nous laisser voguer au gré du courant sur notre embarcation. Nous avons opté pour les chambres à air de tracteur, facile à porter pour passer les « plus gros » rapides en marchant à côté (ça ne devrait pas dépasser la classe 2/3). Nous passons donc notre journée à chercher des pagaies, Agustin nous prête sa pompe à vélo, comme ça nous gonflerons nos chambres à air qu’au moment voulu. On avait presque abandonné ce projet du Rio la Venta car nous avons déjà tenté de l’organiser plusieurs fois et à chaque fois la logistique nous semblait insurmontable mais en voyant la rivière dans laquelle nous avons débouché au sortir de notre grande traversée de la grotte de La Venta, ses hauts translucides, ses parois immenses, savoir que nous sommes au cœur du Parc National d’el Ocote, nous avons eu un regain de motivation : on ne peut pas se perdre cette aventure. Et à croire que le moment est enfin arrivé de faire cette descente, toute la partie organisation est fluide, Agustin nous aide pour obtenir les bracelets d’entrée à la réserve, nous signons la décharge de la réserve, nous rencontrons d’ailleurs ce soir une Garde Forestière de l’Ocote, amie de Agustin. Tout le monde nous brief et est enthousiastes pour nous. Notre groupe Jaguar nous soutiens à fond « Des aventuriers comme vous, il ne faut pas que vous ratiez ça, vous allez vous régalez » nous encourage Juan, en nous prêtant une petite pagaie double. Oel nous en prête une autre « Je vous met en contact avec un lanchero (conducteur de barque) de confiance, il vous fera traverser le lac et me préviendra si vous n’êtes pas là. Soyez prudent, ce parcours n’es pas à prendre à la légère» nous met en garde Oel. Puis Matteo vient boire nos bières artisanales préférée, la Cucapa avec nous et partager un test de pizza de son futur business chez Agustin le soir « Non mais ne vous inquiétez pas, Oel est toujours très prudent, pour vous ça va être easy les gars ! Vous allez adorer ! N’allez pas trop vite, prenez le temps d’en profiter ! Vous allez voir, il y’a PLEIN de grottes sur le parcours. »

Avec ça on est confiants, demain on fini les préparatifs et les sacs à dos, on va partir compacts, légers, avec le strict minimum pour descendre facilement ces 90km de rivière ... le plus grand parcours de tubbing jamais connu ! Depuis que j’ai vu la photo de cette expédition sur internet avant de partir au Mexique, je ne rêvais plus que de ça.

Santé depuis la terrasse