SAMEDI 30 JANVIER, CHETUMAL-YUC à TUXTLA-CH

1h du matin, le bus se fait attendre. La TV braille et résonne dans le terminal, on a droit à Jurassic parc. On a bien fait de trainer au bar en buvant des bières jusqu’à ce que ça soit l’heure. Les gens se préparent pour un trajet longue distance de nuit : petite couverture-doudou, boissons, chips. On s’embarque pour 17h de bus afin de rejoindre l’Etat du Chiapas qui est pourtant « juste à côté ». Les bus longue distance ne font pas beaucoup d’escales, on va s’arrêter dans deux villes seulement sur notre trajet, le temps de faire une rotation de passagers, de descendre se dégourdir les jambes pour les passagers qui continuent le voyage, et de désinfecter le bus avec un espèce de fumoir-sanitaire dont la fumée grise est douteuse et relativement écœurante. Le coût du trajet est assez élevé pour le pays, on en a pour 80€ pour deux. Le bus arrive avec une heure de retard, pas de bol il est assez miteux. Le parebrise est fendu en deux, notre gros chauffeur s’envoie un bon café-clope (très rare ici), on prend la place des passagers qui viennent de descendre, et étonnamment on s’endort rapidement en boule l’un contre l’autre, comme des petits chatons. Le bus fonce dans la nuit, nous prenons un équivalent d’autoroute qui ressemble à une route nationale (2voies seulement), et on se fait contrôler nos passeports par la police d’immigration pas moins de 5 fois d’affilé ! C’est pour dire s’ils sont sévères, quand Charlie a tendu mon passeport pour lui, l’agent n’a même pas remarqué que c’était moi qui étais en photo ! On doit se ressembler autant à leurs yeux que les chinois sont identiques aux nôtres. La journée continue à bord du bus tandis que le relief apparait : nous laissons derrière nous l’immensité plate des mangroves du Yucatan, une page se tourne et nous montons des lacets et des lacets de collines, à la rencontre de futures amitiés spéléos, nous espérons. Notre gros bus semble prendre un itinéraire bis mais non, il s’agit bien de l’itinéraire principal. Je m’accroche au paysage pour ne pas avoir mal au cœur, on arrive jusqu’à un lac, puis de ce lac nous montons jusqu’à un plateau : Tuxtla, capitale du Chiapas, \240s’étale devant nous, dans ce plateau cuvette, situé à seulement 600m d’altitude mais entouré de montagnes. Au saut du bus le soleil est écrasant, il est 16h30, on a plus qu’à filer droit chez Augustin, notre nouvel hébergeur, chez qui nous prévoyons de passer une nuit et où finalement nous sommes encore, 8 jours plus tard. Il habite une coquette maison dans un quartier résidentiel calme, avec un petit jardin mignon, un toit terrasse avec vue sur le canyon du Sumidero, emblème du Chiapas. Sa maison est blanche et bleue, à l’espagnole, très propre et avec des meubles en bois et un sol carrelé. Il y a de la place pour nous et notre matériel, on y est comme à la maison. Augustin est un ancien garde forestier, il aime la nature, il est cultivé et il aime sa région dont il nous compte des anecdotes avec passion. On a des échanges riches sur les cultures, les pays, l’histoire, c’est le premier Mexicain que nous rencontrons qui a réellement une conscience de la nature, de l’invasion du plastique, du comportement chrétien exacerbé des mexicains. Nous passons de longues soirées à partager des bières ensemble et à échanger. Augustin est veuf et son fils Max, atteint d’une forme d’autisme vit avec lui. Nous sommes donc tous les 4 à partager des moments de vie ensemble. Nous, nos aventures et nos origines, et eux leurs vie d’ici et leur « cosmovision » comme on dit dans le coin. A l’heure où j’écris, c’est le matin du dimanche 8 février, la messe bat son plein, le prêtre chante et tout le quartier en profite de gré ou de force. Charlie cherche tantôt un basouka pour viser l’église, tantôt il les applaudit en chœur depuis notre «fenêtre» à barreaux de fer, et régulièrement en se moquant de ces faux-chrétiens «et dire qu’ ils chantent avec leur masques ra la la ... ». Il fait chaud, notre corps est encore ému des découvertes souterraines de la veille, j’ai vue sur ce magnifique canyon du sumidero, nos affaires spéléos pleine de boue attendent d’être lavées et j’ai enfin le temps d’écrire.

Vue sur l’église et le canyon du Sumidero en arrière plan

DIMANCHE 31 JANVIER

Aujourd’hui c’est journée RDV ! On mobilise nos contacts : le club de canyon Extreme Fusion, le club de spéléo Vakyamen et le club de spéléo Jaguar, plus actif. Tout le monde est à Tuxtla, c’est central et pratique. Nous sommes sur un plateau calcaire, chaque montagne autour de nous est un karst, chaque montagne autour de nous regorge d’explorations spéléologiques. On va devenir fous ici ! Nos contacts sont enthousiastes de notre venue, même si nous n’avons pas de matériel d’explorations (de quoi faire une topo, un perfo pour mettre des ancrages ...). Un ami spéléo nous confiait plus tard, en réponse à notre remarque « On a toujours l’impression d’être des ovnis ici Matteo », « Vous savez, la vie au chiapas est dur, les gens sont pauvres, la plupart ne sont jamais sortis de leur Etat (du Chiapas) alors dès qu’il y a quelqu’un qui vient d’ailleurs dans le pays ou de l’étranger, les gens aiment le cotoyer. » On se plonge dans la lecture des rapports d’expéditions françaises dans le Chiapas : 1987, 1993, 2002, 2003, 2004 et 2008. On a besoin de savoir ce qui s’est fait, quelles sont les profils des cavités, quels problèmes ont eu les expéditions. Notre ami Eric David, chef de la plupart de ces expéditions et spéléo d’exploration de toute une vie, nous a bien épaulé pour nous intégrer dans le Chiapas. Il nous a mis en contact avec ses amis qui nous ont reçu les bras ouverts, ils nous a confié ses zones d’explorations à poursuivre. En partie grâce à lui l’aventure a bien commencé ici. On est définitivement mieux accueillis que dans le Yucatan – cette pompe à fric obscène. Nous avons RDV avec le canyoneur Sergio pour boire le café place de la Marimba, au centre ville. On est à 30 min à pied, on apprend à reconnaitre les collectivos qui font les lignes qui nous intéressent. Ce sont des petits bus VW avec deux places à l’avant et à l’arrière les banquettes ont été enlevé pour mettre deux bancs de par et d’autre de la benne. Sergio nous accueille a bras ouvert et fait savoir qu’il est là pour quoi que ce soit que nous ayons besoin, mais qu’il a trop de travail pour le moment pour faire une sortie avec nous. Le lendemain nous devions rejoindre le groupe Jaguar pour faire du canyon mais plus de nouvelle du président du club Juan de Dios... Bon ... continuons de lire nos rapports d’expé.

La fleur d’hibiscus se vend en grande quantité en surface. 100g permettent de faire 1L d’infusion bien rafraîchissante

LUNDI 1er FEVRIER, TUXTLA

BON ANNIVERSAIRE MON AMOUREUX ! 28 ans aujourd’hui, et on est au Mexique, c’est pas fantastique ! Dans les changements de plans (non réponse de Juan, le president d’un club de spéléo que nous devions rencontrer) nous n’avons pas de canyon ou de grotte d’anniversaire pour Charlie, mais un plan génialissime à terminer de \240préparer pour le lendemain : le canyon souterrain du Chorreadero. Ça sera notre première sortie réellement engagée (bien que survivre à la chaleur des grottes du Yucatan était réellement engagé aussi). On mobilise nos contacts pour gratter le plus d’informations possibles. Le canyon souterrain a une distance de 3,5km. Les 500 derniers mètres sont fait commercialement en rentrant par un réseau fossile par le bas et en ressortant par la résurgence en bas aussi, faisant ainsi une boucle. Le temps que nos interlocuteurs nous répondent, nous partons en « lancha » (barque à moteur) remonter le canyon du Sumidero. Ça c’est une aventure à la Mexicaine : on monte à 30 dans la barque, chacun emporte son paquet de chips, il y en a même un qui emporte la glacière pleine de bières pour survivre pendant 2h dans la nature. C’est hallucinant. On ne sait pas trop dans quoi on s’embarque. Calés avec nos gilets de sauvetages pour obèse, nous filons sur le fleuve de Grajilva, droit dans les immenses gorges du Parc National du Sumidero. C’est impressionant : à son plus haut, les falaises montent à presque mille mètres de chaque côté ! Un sacré canyon. Et on part pas pour un petit tour de bateau, on remonte 40km dans les gorges jusqu’à un barrage. Notre guide fait des arrêts pour nous laisser admirer le géant Crocodile Américain, il est balèze celui là par rapport au Caïman, j’ai pas trop hâte de nager avec. Il garde la gueule ouverte pendant que nous l’observons de plus en plus près. Quel dinosaure cette bête. On poursuit notre navigation et admirons plus loin des « mono araña » (singes-araignée) dont la particularité est de rester pendu par la queue, ils sont excellents ! Ils bondissent de branche en branche et se rattrapent par les mains, les pieds ou la queue. On observe plus loin un bébé mono araña très mignon, perché à la cime d’un arbre. De nombreuses grottes et porches s’ouvrent dans le canyon. En 1987 la première expédition française en avait exploré pas mal, à l’époque ça devait être une autre aventure, il devait y avoir beaucoup moins de bateaux à moteurs que maintenant, et beaucoup moins de chips ... On observe ensuite un ilot où une colonie de vautours semble nicher puis on arrive au clou du spectacle, au terminus de nos 40km là, au milieu de cette grande étendue d’eau, à l’amont des gorges du Sumidero, une petite barque semble nous attendre. Nous nous en approchons et nous y amarrons : c’est la supérette-flottante ! Alors ça fallait le faire ! A peine amarrés les touristes mexicains savent ce qu’il faut faire : se ruer sur la « michelada » (grosse pinte de bière light mélangée à du jus ou du sirop ou du piment, du citron et du sel) servie dans un gobelet en plastique et un nouveau paquet de chips tandis que notre conducteur de barque passe dans les rangs avec son chapeau pour collecter son pourboire « Alors voilà, nous sommes au terme de nos 40km, c’est maintenant que vos gilets vont êtres utiles ... pour rentrer à la nage ». Le plein est fait, on rentre à toute zibure jusqu’à l’embarcadère, le paysage défile, les gorges sont grandioses.

Le grand crocodile américain

Si vous avez l’œil, il y a un « mono araña » pendu par la queue.

Entrée dans le canyon du Sumidero, où les parois atteignent jusqu’à 1000m de haut

A mi-parcours, le « Oxxo flotante » (genre Spar flottant) nous atteint pour nous ravitailler de chips et boissons fraîches

Bon, rallumons le portable et retournons à la pêche aux informations pour notre Grande Traversée de demain. Ah tiens, un certain Emmanuel veut nous rencontrer ! On se fait renvoyer de contact en contact. Pour l’instant nous avons trouvé de bonnes infos concernant le Chorreadero sur le site américain RopeWiki et un plan de la grotte, c’est déjà pas mal. Mais il nous manque des infos : combien de temps ça prend ? Quel est le débit ? Y a- t-il un risque en cette fin de saison des pluies ? Comment sont les ancrages ? « Tu devrais appeler telle personne, elle connait bien ce canyon » me recommande l’un, puis l’autre « Oui je l’ai fait c’est super » pour en fait se rendre compte que la personne n’a fait que la partie basse. Une journée passée à traquer des infos, et rien : tout le monde parle, mais PERSONNE n’a fait l’intégrale ! Comment est-ce possible, un bijou pareil à 30min de Tuxtla, et ils ne l’ont pas fait ? J’en reviens pas. Je suis tellement désespérée que j’écris même aux Américains qui l’ont fait y’a 5 ans pour avoir des infos, pas de réponse. Alors on est dans le suspens : normalement c’est équipé en monopoints, mais ils se font régulièrement emporter par les crues, il faut prévoir la trousse à spits (qu’on n’a pas). On entend dire qu’il faut entre 12h et 14h pour faire la traversée. Punaise à deux on va se trainer. On a aussi un peu le stress des frontales, la miennes bug et j’ai peur qu’elle nous abandonne dans la sortie. Ne pensons pas au pire, allons à la rencontre d’Emmanuel, l’ami de Eric. « Oh, mucho gusto conocerlos » dit-il en se faisant cirer les chaussures dans le parc « Eric est un très bon ami à moi, on a tout fait ensemble, il m’a demandé de prendre soin de vous, je vais prendre soin de vous ». Il nous emmène connaitre Julio, un membre du spéléo secours mexicain fort sympathique (qui chasse les écureuils au plomb dans son patio entouré de très beaux arbres .... ). Il nous prête une trousse à spit pour notre traversée (si jamais les ancrages sont abimés). Puis nous rendons visite à son meilleur ami Ivan, aussi gentil et généreux qu’ Emmanuel. Ivan a la tête sur les épaules. « Alors vous allez faire Chorreadero demain parait-il ? » « Oui, c’est ça le plan » je lui confirme. « Personne ne semble vouloir venir avec nous, on doit faire peur ! Tu crois que ça met combien de temps de faire cette traversée ? On dirait que personne ne le fait jamais ». « Oh, comptez 8/9h à mon avis, les Mexicains sont très longs mais vous les européens vous gallopez sur les blocs ! ». Ah, voilà enfin un TPST (Temps Passé Sous Terre) cohérent. Quand même 3,5km c’est pas si long ! Alors sera-t-on vraiment les premiers à faire ce canyon ? Et a Emmanuel de reprendre « Et sinon c’est quoi vos autres plans pour la suite ? » « ben nous on s’en fout tant qu’on passe des bons moments ensemble » lui répondais-je, Charlie aquièse et Emmanuel prend le pas « Ah, trop cool, alors allons manger des tacos ! ». Quel rigolo ce bonhomme de 120kg ! Il nous plait bien !

On trinque à l’anniversaire de Charlie dans un Irish pub de la ville où nous trouvons de bonnes bières artisanales (denrée rare) et rentrons nous reposer pour le lendemain.

Soirée sage : \240bières artisanales au pub irlandais

MARDI 2 FÉVRIER, Chiapa de Corso

Emmanuel est à 6h30 pétante devant chez Augustin, c’est lui qui nous a proposé avec gentillesse et générosité de nous monter en haut du canyon, à 30min de là. Quelle chance, c’est mieux de le faire avec un ami que de galérer à trouver l’entrée avec un taxi qui nous prendra pour des fous. On monte au « km 33 » d’où doit partir une sente. On se gare en bord de route, il fait un peu frais, ça fait du bien, et nous nous penchons sur le côté du ravin à la recherche de la sente. Oh non, mer d’ordure, j’avais oublié ça. C’est la décharge. Immonde. Pourvu que nous n’ayons pas à marcher dedans. Charlie part en courant sur le côté tel un petit lapin sauvage et il trouve un indice. Une peinture bleue sur une tôle dit « entrée du canyon à l’ejido (propriété privée ) 500m plus loin ». Notre expérience nous fait dire que 1 : 500m plus loin le dit ejido va nous taxer, comme d’habitude et que 2. Si il a mis son « panneau » là, c’est qu’on est sur la bonne voie ! Youpi ! On remercie chaleureusement Emmanuel et détalons dans la pente jusqu’à l’entrée du canyon : MAJEUR ! L’entrée est splendide ! Quel gouffre ! Quelle joie ! Vivre l’aventure comme nous l’aimons, être en pleine nature, tranquille, faire ce que nous aimons, ensemble, c’est magnifique. Allez, on saute dans la combi, on allume nos frontales et on installe le premier rappel, de je-ne-sais-combien d’autres, y’en avait une foulée ! Les deux premières cascades sont encore dans le jour puis un virage à gauche et nous pénétrons dans l’obscurité « Méfiez vous » nous conseillait Julio la veille « Il peut y avoir des serpents jusque sur les 500 premiers mètres ». On fait attention quand nous devons enjamber les gros troncs d’arbres qui se coincent lors des crues. Pas de serpents en vue mais plein d’autre bêtes : crabes oranges, 1 crabe albinos ou trobglobie trop mignon, larves géantes (de libellules ?), les fameuses amblipiphiges, grenouilles, têtards et petits poissons. Ça foisonne de vie. Alors pour combien de temps partons nous ? 8h ? 9h ? 12h ? 14h ? On a dit à Emmanuel que si nous n’étions pas sortis au bout de 12h, il faudrait s’inquiéter.

A 7h sur le bord de la route, km 33

En jetant un coup d’œil au ravin, à la recherche de la sente d’accès. On s’attend au pire.

Entrée du canyon souterrain du Chorreadero

Au départ, les gorges ressemblent à un canyon

Ma frontale bug puis s’éteint après une heure de progression. Elle ne veut pas se rallumer. On est légèrement tendus ... On a une frontale de secours bien sûr mais elle n’est pas étanche. Je change de batterie et elle accepte de s’allumer au minimum, je n’y toucherai plus et je prie pour qu’elle tienne le coup. Je progresse avec 150 lumens, autant dire que si le phare de Charlie n’est pas devant j’y vois que dalle ! Nous trouvons les ancrages monopoints aux bons endroits, parfois il n’y en a pas mais on trouve toujours une solution, et les capacités d’escalade « crabitude » de Charlie nous sauvent plus d’une fois ! Ma frontale a l’air de tenir le coup, je saute malgré tout sans casque pour ne pas l’immerger, puis sur un pas délicat je tente avec le casque, elle ne bronche pas, l’atmosphère se détend et nous progressons continuellement, sans courir. Le paysage souterrain de ce couloir géant, de ce véritable « canyon souterrain » est magnifique, varié, et tellement grand ! On passe un estrecho à la nage (partie où les épaules touchent les parois des deux côtés) qui est sublime, les formes d’érosions sont superbes, ressauts, cascades, désescalade, sauts, tout s’enchaine sans pause, on s’amuse comme des petits fous jusqu’à la grande salle de « La cruz Roja », qui marque le milieu. On a mis 4h. Ouf, le timing est pas mal ! Mais ne relâchons pas les efforts, poursuivons ! Le deuxième tronçon est moins technique, il y a plus de biefs (parties de nage). Ça repose et nous suivons notre cours d’eau jusqu’à la Salle de Halcones, qui marque le début de la troisième et dernière partie. On a droit à notre pique-nique, et Charlie a droit en plus a une surprise de Ferrero Rocher pour son anniversaire sous terre ! Cette troisième partie est celle encadrée par les guides, c’est la plus ludique : notre parcours est agrémenté de toboggans et de sauts un peu plus hauts, les cascades sont très jolies et en s’approchant de la fin, une colonie d’hirondelles géantes nous dénonce en s’envolant en nuée par la grotte d’où jailli la fameuse cascade du Chorreadero. Les baigneurs ne pourront pas manquer de voir débarquer les ovnis quelques minutes plus tard ! Quel signe annonciateur, de vrais héros ! (ou de vrais extrateressetres). Le Balneario lui ne perd pas le nord, il sait bien qu’on n’a pas payé notre droit de passage. Allez, comme on a fait le canyon, c’est pas 25 pesos par personne comme pour les baigneurs, c’est 200 par personne. Et ils ne savent même pas justifier pourquoi .

On aura mis 7h et avec les traces de pas que nous avons vu, nous savons que 2 personnes mystérieuses avaient fait la traversée depuis la fin de la saison des pluies.

Ça saute ?

On distingue le niveau de mise en charge grâce aux bouteilles en plastique

Très belle sortie du Chorreadero, nous sommes annoncés par un nuage d’hirondelles que nous délogeons de la grotte.

J’ai vu, j’ai vécu, j’ai vaincu 🤠 le Chorreadero en 7h de descente

On a droit à un petit goûter pour se remettre de tout ça : on se fait déposer par deux françaises-plongeuses (intéressées pour faire du canyoning dans les PO ahah) à Chiapas de Corso, un petit village colorés très élégant, \240marqués par l’histoire coloniale et de style architecturale arabo-espagnole. Cette architecture particulière et colorée a valu à Chiapa de Corso l’appellation de « Pueblo Mágico », par le Ministère du Tourisme. Que de couleurs, de belles maisons et au centre de la place, une magnifique fontaine de style arabe qui date de 1500, patrimoine connu dans le monde entier apparemment. Sur recommandation de notre hôte Augustin, nous reprenons des forces en buvant un Pozol, boisson froide de maïs moulue et de cacaco, servie dans une demi-coloquinte. Je doute de la propreté de la coloquinte mais on boit la boisson et ses morceaux d’un trait. La femme qui nous sert se moque de nous amèrement, nous sommes blancs, nous ne connaissons pas la valeur des choses, nous sommes riches, et eux ils sont pauvres et prisonniers d’ici. « Allez, achetez moi des choses, puisque vous vous avez tant d’argent, vous ne savez pas ce que c’est d’être pauvres » rigole-t-elle méchamment avec ses compères. Bon, ça donne pas envie de rester, taillos à Tuxtla, et hop on saute dans un VW.

Un coin de rue de Chiapa de Corso

La fontaine arabo-espagnol au centre du village date de 1500.

Les petits fanions célèbre un Saint

Ravitaillement au Pozol (boisson de maïs et de cacao) servi dans une coloquinthe

Le meilleur burger du monde est à Tuxtla!

MERCREDI 3 FÉVRIER, TUXTLA

Ahhhhhh qu’est ce que ça fait du bien d’avoir le corps tout mâchonné par ces efforts ! Les courbatures c’est un vestige de l’aventure. Au programme : repos, et prendre les devant. Nous n’avons pas de proposition de sortie avant Samedi alors nous allons être moteur de propositions. Demain nous allons faire une des belles découvertes de Eric David en 2003 : la rivière souterraine de Santo Domingo (Decario). Nous proposons aux divers membres de club de nous accompagner s’ils le souhaitent. Personne ne bronche. C’est fou, ils ont peur de nous ou quoi. « On s’en fout mon chéri, on y va en bus et on marche le bout de piste jusqu’au hameau, c’est facile ». « C’est facile, mais c’est dangereux, t’es inconsciente ma chérie. Ils n’arrêtent pas de nous mettre en garde ici, le Chiapas est dangereux à pas mal d’endroits, on a une vraie tête de blancs-becs, on a qu’à faire des trucs par ici et attendre que les Mexicains nous accompagnent c’est plus sûr ». Oui c’est plus sûr, mais ça m’énerve ! je ne veux pas attendre, dépendre des autres. Il faut trouver une solution ! On loue une voiture ? Help ! Emmanuel vient à notre rescousse « Moi je vous emmène amiguitos, et je vous attend, mais je descend pas sous terre ». Quel amour. Fais chier. On va pas le squatter comme ça. « Mais si je vous le dit, je le fais avec bon cœur. Ivan va venir avec moi on ira discuter à la ferme, profitez-en. Et Eric m’a dit de prendre soin de vous ». Au même moment je reçoit un message de Juan « Ana, Matteo veut venir avec vous demain, appelles- le ». Mais c’est parfait ! Quand le destin veut nous chouchouter, il le fait bien ! C’est la fête ! Allez, je vais faire des crêpes pour chouchouter à notre tour Emmanuel, Agustin et son fils Max. Tiens, et pourquoi pas tenter un « jugo de Jamaica » (infusion d’hibiscus servie fraiche). Quelle belle après-midi, il fait bon, nous préparons avec joie notre matériel de spéléo, demain Matteo vient nous chercher à 5h45 (il a une voiture), enfin un Mexicain qui n’a pas peur de fréquenter les Français sous terre !

Stand crêpes sur notre réchaud (car il chauffe fort) pendant que Charlie aiguise sa machette

JEUDI 4 FÉVRIER, Santo Domingo

5h45, Matteo est ponctuel. Nous chargeons sa voiture et prenons la route vers le hameau de Santo Domingo, à 1h30 d’ici. Nous faisons connaissance à mesure que le soleil se lève. Une brume flotte au-dessus de ces étendues calcaires, nous montons jusqu’à la meseta (plateau) de Santo Domingo. Il fait frais, ce paysage fait du bien. Bon, Matteo n’est pas Mexicain, il est Italien ! Il a découvert la spéléo ici, où il vit maintenant depuis 10 ans, et il est ravi de faire partie de l’aventure. Depuis la pandémie, toute activité spéléo a été suspendue. Nous avons imprimé le descriptif d’accès à la cavité. On doit passer par la propriété de Freddy Hernandez, ami et hébergeur d’Eric. C’est la campagne ici. Le hameau est isolé de la ville, la vie y est très différente. Les gens se méfient de nous, on sent une tension des paysans à notre passage. Matteo nous explique les us-et-coutumes du Chiapas. Le Chiapas a souffert de beaucoup de délinquance, surtout avec les traffics de drogue, il faut montrer patte blanche, sourire avec bon cœur, montrer notre sincérité et notre non-dangerosité à la population locale qui a tellement souffert et qui souffre encore de toute cette délinquance et ces massacres. Cette tension et ce triste sort me rappelle la Colombie. Moi je refuse de ne pas vivre à cause de ça, mais d’accord, soyons prudent. Terminus au bout de la piste. Il y a deux maisons. Nous nous présentons auprès d’un petit homme en sandales, les pieds noirs, et avec son chapeau de Hennequen qui se tient curieux dans sa cour, au milieu de la brume. Ici il faut non seulement montrer patte blanche, mais surtout, il faut demander la permission pour tout accès ou passage sur un terrain quelquonque. « Freddy nous autorise à aller à la grotte en passant sur son terrain » devions nous dire de la part d’Emanuel. « Ah mais Fredy il est là, dans les champs. C’est 7h30, ils sont déjà dans les champs. Quelle bonne nouvelle, allons nous présenter alors, nous ne nous attendions pas à le voir. Le petit homme nous guide sur le chemin jusqu’à un champs de maïs. Un groupe de femme est au milieu du champ, assis par terre, en train de vider à la main des dizaines et des dizaines de courges. Leur regard est tendu. Nous crions « Hola, Buenos Dias » de loin puis en nous approchant « Où est Mr Freddy ». Le groupe de femme nous le montre avec le doigt en se méfiant. Nous aperçevons un homme qui se dirige vers nous, habillé en blanc, avec un sombrero blanc. Freddy a le visage fermé, il ne s’attend pas à nous voir, il n’a même aucune connaissance de notre venue ni de notre existence d’ailleurs. On le prend par surprise « Nous sommes des amis d’Eric, le spe... » On a pas le temps de finir la phrase « Eric, mon ami, comment va-t-il ? » dit-il avec le visage qui s’illumine. Eric, c’est notre passe-droit dis donc. Il en a vécu des choses avec ces gens et il a fait quelque chose qui est tellement important à la vie sur le plateau : il a trouvé de l’eau, de l’eau souterraine. Les spéléos sont accueillis comme des messies. Les visages s’égayent, les femmes sourient avec des dents bleues et roses. Que machouillent-elles pour avoir les dents comme ça ? Freddy réfléchis « Mon fils va vous conduire à la grotte » (le dit fils décharge un gros sac de maïs de son épaule). « Mais avant, il faut demander l’autorisation au propriétaire du terrain de la grotte.» Décidément, on n’a pas fini ! Le fils prend sa moto à la recherche du propriétaire, et le temps passe, nous attendons, le propriétaire doit aller décoincer une vache qui a une jambe coincé dans un lapiaz.... A 10h on entre dans le trou, enfin !

En quête d’une demande de permission d’entrer dans la grotte

Le fils de Freddy nous a conduit à l’entrée de Decario

Le fils et le petit homme nous regardent disparaitre dans les abîmes. Charlie équipe les quelques puits et ressauts qui mènent à la rivière. Un P12, R4, R3, P47 fractionné. Matteo le suit, l’assiste et l’observe avec attention, pendant ce temps j’observe, fascinée, un joli crâne de chauve-souris entier, avec la mâchoire et toutes les dents ! Un bas du P47 l’air est lourd, on est tombé dans une poche de CO2. On peine à respirer. On connait ce problème, en France il y a pas mal de cavités dites « gazées » aussi. Le taux de CO2 ne doit pas dépasser 4%. Nous sommes donc essoufflés au moindre mouvement, en gros on respire comme des bœufs, mais on parle sans s’essouffler, et on a pas mal au crâne, c’est bon signe. Comme nous savons qu’il y a une rivière souterraine, nous ne sommes pas inquiets, bientôt la cavité sera plus ventilée. Nous prenons le temps de visiter une petite salle aux Aragonites puis entrons dans un affluent assez stagnant qui nous mène à la rivière de Santo Domingo. Il y a quelques traces de pas dans la boue, ces traces remontent à 2004 ! Charlie alias Bruce Willis reconnait les empreintes d’Etche bien connues dans le milieu spéléo français. On est sur les traces d’Eric, c’est drôle ! La cavité a des proportions assez grandes, nous cheminons sans difficultés et retrouvons une respiration normale. La rivière est pleine de vie, c’est bon signe. Il y a une colonie de crabes oranges qui défendent leur territoire partout : sous l’eau, sur les rochers, dans des flaques mais aussi sur les murs et même jusqu’au plafond. Ils ne se démontent pas, ils écartent les pinces pour nous décourager mais on progresse, ils sont trop mignons avec leurs yeux globuleux. Allez, je me lance, je touche une pince et... hop, disparition du crabe dans l’eau, suicide. Ils ne sont pas très courageux dis donc mais qu’est ce qu’ils nous font rire. Des petits piaillements caractéristiques des chauves- souris nous annonce que nous nous approchons de la Salle des Miasmes, décrite dans la topo d’Eric comme abritant une énorme colonie de chauves-souris. Quelques rayons d’éclairage dans l’obscurité suffisent à affoler la nuée d’une des deux espèces que nous rencontrons. Je pense que c’est des Perro Menor vue leur tête de chihuahua et leur façon de se déplacer mais je ne suis pas sûre. Elles s’affolent, volent, crient, elles nous percutent, elles arrivent à « ramper » sur la paroi puis repartent, l’une d’elle s’agrippe même à la jambe de Charlie qui peine à s’en débarrasser puis une autre fonce dans sa frontale, moi je suis indemne entre deux soubresauts de rire. Nous nous enfonçons dans la rivière souterraine, sans combinaison néoprène. Pas besoin, il fait chaud (peut être 25degré ? c’est quand même largement plus supportable que dans le Yucatan) et l’eau est étonnamment bonne. En France jamais on irait sans combi. On passe à la nage sous une voute mouillante où un plafond de chauves-souris d’une autre espèce (très petites, au poil blanc avec un petit bec de muppet, il s’agirait de Nautulus Mexicain ou Chauves-souris à oreille en entonnoir). Elles sont perchées par une griffe seulement, chacune au bout de sa stalagtite, à seulement 50cm de nos têtes. C’est fou. Elles frémissent sur notre passage mais tiennent le coup et ne nous étourdissent pas dans une nuée comme les autres. La rivière s’aggrandit, le paysage est superbe, l’eau est turquoise, nous descendons la partie des 7 cascades, et nageons dans les couloirs d’eau, Charlie pique même une tête et sa lumière illumine le passage de « la piscine ». Nous arrivons sans attente à un immense vide souterrain, une salle de 100x50x60, et la rivière disparait là, dans un siphon. Des escalades ont été faites, impossible de trouver un passage parallèle pour retomber dans la rivière de l’autre côté. Il faut continuer de chercher. Si les habitants de la « rancheria » (hameau) veulent pomper, c’est cette salle qu’il faudra viser. Elle est si haute de plafond qu’il y aura moins de forage à faire. Le rôle du spéléologue est de dire exactement où.

Crâne de chauve-souris

Matteo dans le puits de 47m

La salle des aragonites

Le plafond de chauves-souris, peut-être des Natalus Mexicains

Ma lampe n’a pas survécu à cette deuxième sortie souterraine, je fais demi-tour avec ma frontale de secours, qui elle n’est pas étanche et nous partageons de nouveaux des moments avec les chauves-souris, les crabes et la rivière. On remonte les puits, les chauves-souris s’apprêtent à sortir pour chasser, c’est bientôt l’heure. Elles volent en ronde et en criant, elles se rameutent les unes les autres, nous avons le temps de sortir avant elles puis marchons à travers la végétation sèche de ce plateau jusqu’à la voiture. Le petit homme nous interpelle « No quieren blanquillo ? » Il nous propose quelque chose en nous faisant le signe de boire. Bah, si c’est de l’alcool ça ne me donne pas envie. On est trempés à vrais dire, on a envie de se changer, mais l’homme est très généreux et gentil. Il est là, avec ses pieds noirs et son chapeau, dans la cour poussièreuse, et renouvelle son offre « Un blanquillo, vous devez reprendre des forces ». Matteo décline son offre, et profite au passage pour sensibiliser le paysan « Vous savez, vous ne devriez pas jeter tout ces déchets dans ces gouffres, on ne dirait pas mais ils sont connectés et vous polluez l’eau que vous pourriez un jour boire ». « Ah bon » réponds l’homme étonné « Ils arrivent avec leur camionette et ils bennent tout dans le trou là-bas » justifie-t-il. « Je sais », répond Matteo conciliant, « Un jour il faudra arrêter... Merci pour tout, nous sommes fatigués nous allons nous changer » enchaine t il ensuite pour éviter d’avoir à gouter le blanquillo méconnu. L’homme nous rejoins à la voiture alors que nous nous apprêtons à partir. Il nous tend un bol avec 5 jolis œufs. « Para que se los coman » dit-il. Le blanquillo, c’était des œufs. Seulement, il faisait le signe de nous inviter pour les gober. Bah, effectivement ça donne pas envie. Mais quelle gentillesse dans ces campagnes ...

Crabe troglobie en position défense

Notre équipe à la sortie. On voit les chauves-souris sortir chasser

VENDREDI 5 FÉVRIER, TUXTLA

Glande, nettoyage du matériel, dessin de la coupe du Chorreadero pour les Mexicains. On va aller rendre la corde à Sergio qu’il nous a gentiment prêté pour Santo Domingo. Sans sa corde on n’aurait jamais atteint la rivière. Sergio nous conduit à LA boutique technique de Tuxtla et du sud du pays. On était curieux d’aller la voir. Et puis Charlie a besoin d’un descendeur et moi potentiellement d’un éclairage si ma Stoots ne survit pas à l’opération chirurgicale de Charlie. Nous rencontrons donc aussi Tarzan (Manuel), très connu dans le milieu spéléo local. Il a de l’expérience et du vécu en spéléo, notamment avec les Français. Demain c’est la journée sortie avec Jaguar, on ne va pas louper ça. Juan nous y a invité. A priori on va aller voir une grotte qui n’a jamais été vue encore. On n’espère pas grand-chose. A priori ça commence avec un puits, ils ont jeté un caillou il ferait 30 ou 40m. Ça sent le puits-borgne. Mais bon, ça sera sympa de rencontrer tout le monde. Matteo nous confie « Il y a neufs inscrits pour demain, on n’est jamais aussi nombreux d’habitude. Il y en a même qui n’ont pas fait de spéléo depuis des lustres, c’est parce-que vous venez, ils sont curieux de vous rencontrer ! » Eh bien tant mieux, ça sera rigolo. Je profite de cette journée off pour proposer une sortie au club le dimanche. En général ils travaillent en semaine, alors il faut profiter des week-ends. Nous avons notre petite habitude d’imprimer et de plastifier nos topos à un cyber. Ce soir Agustin nous a promi de nous emmener manger des Tamales au marché. Ils sont bien différents de la Colombie, leur seul point commun c’est qu’ils sont préparés dans une feuille de bananier. Au Mexique les tamales sont bien plus variés, il y en a une liste infinie. Augustin, Max Charlie et moi prenons place sur les petits tabourets en plastique de ce « puesto » (poste) où deux femmes servent des tamales accompagnés de atules de elote (boissons de maïs et de cacao ou de riz au lait cannelle chaud) dans des pots en polystyrène. Elles ont un succès fou. On est accoudés les uns aux autres sur ces trois tables qui forment un U. Les gens nous épient et Agustin nous détaille tout. Sans sa traduction, j’aurai vraiment pris au pif. Pour moi un « tamal » avec de la purée de maïs, du mole (une sauce piquante à base de sauce rouge, citron, banane, cacahuètes, piment doux et biscottes écrasées) et un morceau de porc. Charlie prend un tamal de boulettes de porcs et nous goûtons ensuite celui au Chipilin (feuille) et fromage. Ils en font même des végétariens, incroyable. C’est une douce soirée à l’entrée du marché, dans le vacarme de la vie mexicaine qui ne s’arrête jamais.

Sur le chemin du retour, Augustin s’étonne que nous n’ayons pas de « puestos » en France (stand de bouffe). On a bien des foodtrucks, mais c’est pas pareil et c’est bien moins bon marché que l’infinie variété et spécialité d’antojitos (nourriture sur le pouce) mexicaine, dont se nourrissent quotidiennement les Mexicains.

« En France on cuisine, on achète en boulangerie à manger le midi mais le soir on aime cuisiner. A 19h il n’y a plus personne dans les rues ».

« Ah » constate Augustin qui pourtant cuisine plus que la majorité des Mexicains. « Je sais pas comment vous faites alors ».

Le stand des délicieux tamales et Atol de Elote de Tuxtla.

SAMEDI 6 FÉVRIER, SAN FERNANDO

7h30 : notre chauffeur Matteo est arrivé ! Sa compagne mexicaine est avec lui. Les femmes qui font des activités outdoors c’est très rare au Mexique. On charge nos affaires, on est tellement contents de participer à la vie du club ! Matteo stresse toujours autant au volant ici, même après 10 ans dans le pays. Je le déconcentre tout de même avec mes babillements, je ne peux pas m’en empêcher je suis trop excitée ! Nous arrivons au village de RDV à 20min de Tuxtla : pas un chat. C’est habituel, un spéléo c’est en retard, mais alors un spéléo mexicain, \240faut bien compter une heure, Dixit Charlie, notre fin analyseur de situation. Bon ben allons prendre un café alors ! Ce qui fit arriver la troupe, avec une bonne heure de retard. On se présente, je rencontre enfin mes conseillers à distance que j’ai harcelé pour pêcher mes diverses informations. Nous devons également attendre notre « contact » qui doit nous ouvrir le portail et qui lui-même a demandé la permission au propriétaire du ranch pour passer, qui lui a demandé la permission à l’Ejido pour qui nous passions, pour qu’enfin le dit « contact » prévienne le vacher de notre venue. Dédale de permission achevé, nous nous garons au beau milieu du champs du vacher. Matteo a peur qu’on s’ennuie à cette « première » peu prometteuse. « Ils vont mettre un temps fou à équiper, ils sont long vous savez » se tracasse t il. Boh, nous on s’en fou. « On a qu’à aller voir Passo Burro à côté, c’est une grotte horizontale qui est très très développée, ça devrait nous occuper pendant ce temps » insiste Matteo. Concertation télépathique avec Charlie « Non, allons voir comme ils équipent, c’est intéressant ». Les mexicains ne sont pas pressés, ils commencent tout d’abord par ... manger un sandwich. Ensuite il faut préparer les sacs et lentement se mettre en route. Nous prenons les devants et deux petits du vacher nous rattrapent en courant, l’un me prend un des deux sacs que je porte tandis que le plus petit trépigne en sautant pour porter quelque chose sans que je le vois, Charlie lui met alors la corde sur les épaules. Ils sont trop fiers de nous accompagner ! Matteo nous laisse trouver l’accès au trou, c’est facile vue le paysage, ça doit être la perte qu’il y a au fond de cette énorme doline, une ancienne « Sima » comme on dit ici (gouffre caractéristique du paysage karstique mexicain). On entre par un cours d’eau sec, en sautant de caillou en caillou et arrivons au cœur de ce gouffre partiellement effondré, où on poussé des bananiers. Ça doit bien s’activer par ici, « En saison de pluie cet endroit se transforme en lac » nous confirme le vacher qui nous a rattrapé. Les Mexicains arrivent à petit pas, nous nous avons déjà mis notre équipement. J’installe nos deux frontales de secours sur la tête des enfants et nous les emmenons se promener sur quelques dizaines de mètre dans la grotte jusqu’au bord du puits convoité. Ils sont heureux comme des pinçons, aux trousses de Charlie, et n’ayant plus d’éclairage, je les suis dans le noir. Le temps d’équipement est plus long car, s’agissant d’une cavité vierge, il faut poser les ancrages. En France c’est un honneur de faire ça, car les cavités sont déjà équipée. Nous laissons donc l’honneur aux Mexicains et Charlie nous trouve de quoi nous occuper en se faufilant dans un méandre « Allons voir si ce méandre descendant n’arriverait pas à la base du puits à tout hasard ». Ça se rétrécit de plus en plus, nous descendons en désescaladant de 40m environ, la roche est très coupante mais à la fin ça pince sur « petit rat ». Eh oui, trois petits rats marron noir et blanc attendent que Charlie mette pied à terre avant de gentilment nous montrer comment eux ils escaladent facilement la paroi. Demi-tour, nous rejoignons la troupe. C’est Matteo qui a la chance d’équiper. Les autres attendent patiemment. Je me permet de rejoindre Matteo pour l’assister. Il est à la moitié du puits. \240Il a envie d’apprendre. Ici ils ont été formé par une expé Italienne qui a beaucoup travaillé sur le Rio La Venta (karst majeur, avec notamment une traversée souterraine Soumidero II La Venta de 13km qui se fait en ...3 jours !). Ils équipent donc à l’italienne, au « Multimonti ». L’avantage de cet ancrage c’est qu’on peut le récupérer en remontant si la cavité ne vaut pas le coup. Et surtout, pour ici, c’est beaucoup moins cher car réutilisable. Pendant que Matteo installe la deuxième partie du puits, j’installe une main-courante (corde horizontale) pour accéder à une galerie horizontale qui semble grande. Kaleb, un des plus expérimenté, suit ma corde pendant que je reste à assister Matteo jusqu’à ce qu’il touche le fond du puits. Kaleb revient « Ana, il y a des vestiges (Maya ou Zoque peut-être dans le Chiapas) : des céramiques et un mur de pierre ... Je voudrais une autre corde pour passer au-dessus d’un autre puits et voir s’il y en a d’autres. » Punaise, je bous, équipe vite Matteo je veux aller voir ces vestiges ! me dis-je dans ma tête en appelant Charlie « rejoins Kaleb avec une corde, il y a des vestiges ». On ignore encore l’importance de l’exploration de ce réseau. Charlie descend sans se faire prier et ils disparaissent tout deux dans la galerie pendant que je descend le premier puits (environ 40m en tout) avec Matteo. Notre chemin continu : il y a un autre puits de 7m que nous équipons très rapidement, je descend et tombe sur une grosse flaque. Les indices d’érosion indiquent clairement que ce passage siphonne (se rempli) lors des crues. Il y a beaucoup de limon au sol, quelques plastiques et des traces de crues jusqu’à 3m au-dessus de nos tête. Pas le choix, il faut s’immerger dans cette flaque pour continuer. Je m’y met jusqu’à la poitrine et derrière une nouvelle galerie : très grande (15 de hauteur ou 20 par 3m de largeur). Elle mène jusqu’à un lac temporaire ou un siphon. Impossible à savoir pour l’instant. Mais l’eau stagne et elle est sale, ça ne donne pas envie. Nous estimons être à -50 ou -60m de la surface. Faisons demi tour et allons annoncer notre découverte. Des chauves-souris s’agitent, elles attirent notre attention car elles ne volent pas ... elles sautillent par terre ! Soit elles apprennent à voler, soit ce sont des chauves-souris vampires, c’est apparemment caractéristique de leur comportement. Je remonte sur les cordes à toute vitesse (pour voir les vestiges et non pour fuir les chauves souris vampires) Juan nous attend pour aller voir la « galerie des poteries ». Nous y allons tous les trois avec Mateo. Nous contournons le premier gouffre avec une corde et arrivons sur une petite niche où se trouvent 1 \240flûte maya et 3 ocarinas, en forme de bonhomme à mes yeux. Elles sont incroyablement belles, j’ai envie de souffler dedans. Elles sont posées contre la paroi, elles ont dû être posé de cette manière par les derniers musiciens. Et cette question qui revient toujours « Mais comment ont-ils fait pour venir jusqu’ici ? C’est incroyable, on ne s’y attend tellement pas... ». Plus loin une pierre polie, des poteries en tout genre, rondes et cassées et une fissure qui attire notre attention : les occupants ont pris soin de « daller » la fissure, et nous marchons sur ces dalles. Nous continuons, je veux trouver Charlie et vivre ça avec lui, ça fait bien 2h qu’il est parti, ça promet d’être bon. La cavité est immense, nous contournons un second puits d’environ 50m de profondeur avec une main-courante, (il faudra aller le voir après je me note dans la tête). « Amor ! » Je le reconnais de loin, c’est le seul sans combi. Pas de bol, la cavité est très boueuse! “Mon Amour! C’est incroyable ! C’est ouf t’as vu les flutes » « Oui et t’as encore rien vu c’est vraiment une découverte exceptionelle. Et vous ça donne quoi » « Arrêt sur siphon, ou lac, j’ai vu des chauves-souris qui sautent ! » « Alors j’ai dû arriver de l’autre côté, faut qu’on y aille ». On se coupe la parole, on parle vite, on est trop excités, pendant ce temps ma Gopro tourne, je veux filmer tout ces vestiges, on s’est arrêté près d’un petit vase intact et par terre, des os humains sont éparpillés. On ne sait plus où marcher. « Il nous faut une corde pour continuer » annonce Charlie, Jaime va en chercher une pendant que Charlie nous guide pour admirer les plus beaux vestiges : un squette humain pris dans la calcite avec son crâne et ses dents, c’est incroyable, et une belle poterie bien ronde entière puis une petite scène au creux d’un massif de colonnes de calcite blanches : plusieurs petits pots intactes se trouvent là avec du charbon dedans, il y a une dent dans l’un des pots et la fumée de l’encens a noirci la calcite. Deux des pots sont décorés d’un serpent et une petite stalagmite ronde au milieu me rappelle la silhouette d’une femme enceinte. Quelle émotion. Comment ? Pourquoi ? A quelle époque ? Les questions se bousculent. Nous sommes tous très émus de ce tableau, de ces découvertes.

2 ocarina et 1 flûte

Des rituels devaient avoir lieu avec ces petits pots d’encens

Squelette humain pris dans la calcite

Jaime nous rejoins avec la corde et Charlie nous guide, il équipe un puits de 12m, puis une remontée de 5m, puis un ressaut de 3m et nous prenons pied à un carrefour. Cette zone se noie complètement en période de pluie, il y a des traces de crue partout et c’est plein de boue Nous ne sommes plus que 4 à continuer l’exploration. Charlie et moi sommes médusés : comment cette grotte exceptionnelle peut-elle les laisser coies ? Pas le temps de se désoler pour ce qu’ils se manquent, on « avale les kilomètres de première » à pleines ejambées comme on dit. On butte sur un lac ou un siphon jaune d’urine de chauves-souris, ça donne pas envie. On va vers les fossiles, Charlie tire toute l’équipe, on trotte, on trotte, on passe un laminoir, on escalade dans la boue, on débouche sur une très grande salle richement concrétionnée. « Bon, faudra bien qu’on s’arrête un jour Amour ils ont l’air fatigués ... » dis-je avec regret. « C’est sûr, c’est déjà magnifique tout ce qu’on a fait, ce réseau est majeur ! Je vais juste me faufiler dans cette petite galerie pour voir et on rentre ». 10min plus tard Charlie reviens « Encore une nouvelle les gars ! Il y a un puits de 30m que je ne peux pas descendre (pas de corde) et en bas ... j’entend une rivière ! » Mais non, on ne peut pas se louper ça ! On va les tuer ces mexicains mais on continue, on ne peux pas s’arrêter, il faut aller voir. Arrivés au dit lieu, on s’allonge chacun tour à tour au bord du gouffre et lançons notre fragment de stalagmite pour l’entendre tomber et rouler jusqu’au susurrement de la rivière. « On revient demain » j’annonce à Juan qui est allongé sur son casque. On est trempés, plein de sueur, de boue, je n’ai que ma pauvre lampe de secours (qui tient le coup) et les Mexicains en ont marre je crois.

« Je crois que j’ai fini le cycle de ma vie » confesse Juan, épuisé

« Mais si les gars, on revient demain, on laisse tout en fixe, on revient demain et on continue, on ne peux PAS ne pas aller voir ! C’est trop fou ! ». Mon élan d’excitation les ranime « on va en parler aux autres ». Nous faisons demi-tour. Au carrefour Kaleb nous a rejoint pour voir ce qu’on faisait, Charlie et moi profitons de leur temps d’échange pour aller voir l’autre branche : au bout de 10 min on tombe aussi sur une rivière (l’amont, \240l’aval, un affluent ?) qui est calme à cet endroit. Il faudra aussi un bout de corde pour descendre. Comme on dit dans le jargon « arrêt sur rien » autrement dit : Ca continue ! C’est trop d’émotion pour aujourd’hui. Comme dit Charlie « on mérite pas notre bière, la vie a déjà été trop généreuse avec nous ». Qui s’attendait à ça ? Qui s’attendait à faire de la première au Mexique ? Qui s’attendait à une telle découverte. Nous refaisons surface au crépuscule. Le reste du groupe est retourné chez le vaquero (vacher). Nous les rejoignons dans nos vêtements collants, boueux, lourds mais nous nous sentons légers de bonheur. Un des garçons de ce matin passe fièrement devant nous à cheval dans l’obscurité qui s’intensifie, il a un sourire béant. Nous retrouvons la troupe et négocions un nouvel accès avec le vaquero. « Alors c’était comment ? » nous demande-t-il « Géant ! » Répond Matteo qui n’a pas tout vu. «  Si géant qu’on aimerait demander une nouvelle autorisation d’accès. » Personne ne lui parle des poteries, tout le monde s’est mis d’accord, c’est la règle ici. Ni aux paysans, ni aux archéos. Si les Français savaient ça on serait pendus ! Les paysans se précipiteraient pour saccager et piller l’endroit, ils prendraient des risques pour récupérer les poteries. Nous taisons donc le trésor, en priant qu’il reste ainsi à tout jamais et que personne avec de mauvaises intentions ne ramène chez lui une flûte, un petit pot intacte ou un pot avec des cendres chez lui, où l’objet n’aura plus aucune valeur... Les archéos feraient de même, ils pilleraient l’endroit pour enfermer ces trésors dans des caves de musée. Non, mieux vaut ne rien dire, c’est décidé. Le vaquero continue \240« Vous savez, il y a une légende qui est comptée par ici, il y aurait des gens qui auraient vu un squelette humain dans cette grotte, un squelette perforé avec une barre et aussi une énorme pierre verte à côté de lui ». Ca me met le froid dans le dos, c’est peut-être du pipo, mais je ne peux pas mentir devant la gentillesse dont il a fait preuve et son sourire innocent, et je le remercie intérieurement de ne pas poser la question « L’avez-vous vu ? ». je lui demande s’il sait pour la rivière souterraine, il sait, il dit qu’il savait qu’il y en avait une. \240Finalement demain dimanche on n’ira pas poursuivre les explorations, on se met d’accord pour lundi, lundi sans faute. Et Matteo nous ramène chez nous, tout sales, comme après une belle journée de spéléo.

Étonnant : des glowworms comme en NZ mais qui ne « glow » pas!

Arrêt sur rien : Rivière, on reviendra

DIMANCHE 7 FÉVRIER

La première chose à laquelle on pense, c’est aux poteries en se réveillant ce matin, et au fait qu’on n’ait pas d’instrument pour faire la topographie de la grotte. Si on ne la fait pas, alors on ne sera pas les « inventeurs officiels » de ce réseau. La topographie, c’est la signature de la découverte, la documentation. On s’en désole : ce réseau est si grand et si beau, et les Mexicains n’ont pas l’air de vouloir le documenter. C’est fou. Ils font de la première à tour de bras et aucun écrit, rien ne reste. Apparemment ils archivent sur leur site internet, faudra voir comment ils écrivent ça. Notre grotte jonctionne peut-être avec la grotte de Passo Burro qui est à côté et que Matteo voulait nous montrer. Dans ce cas ça fera des kilomètres de galeries avec un système en étage : fossile, semi-actif et actif, ainsi qu’une perte et une résurgence.

Ça fait du bien d’avoir un jour de pause pour laver tout notre matériel. Le patio de Augustin ressemble à un vrai camps de base de spéléo! Il est tolérant! Nous nous remettons de nos émotions, nous tentons de réparer ma frontale et cherchons une combi pour Charlie. Demain, on retourne continuer d’explorer ce réseau que j’appellerai « La Sima de Los Plátanos » (le gouffre des Bananes), le temps qu’on lui trouve un nom.

Finissons sur une mignonnerie, avec Mr Crabe troglobie