MERCREDI 8 MARS, Puertas del Cielo

« T’as mal à la tête toi ? » je demande à mon chéri dès notre réveil dans notre petite tente, située à 3500m d’altitude, à notre camp de base nommé « Puerta del Cielo ». « Un peu mais ça va, je m’attendais à pire » me répondit-il. Il est 6h du matin, le soleil va apparaitre sur la mer de nuage, et notre seule mission de la journée est de le voir. Malgré la fraicheur matinale, et notre petite nuit, nous nous habillons pour aller observer ce merveilleux moment, ces éclats de couleurs rose-orangées, la naissance d’une nouvelle journée. Les premiers rayons du soleil touchent d’abord le sommet du Volcan d’Orizaba, le sommet du Mexique, nous aimerions tellement être là-haut. Il est magnifique, grand, imposant, et pourtant il semble si proche à la fois. Au final, il n’est qu’à 2100m de plus que nous. Ca nous déprime rien que de le voir. Le voir, et ne pas pouvoir y aller. Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas y aller : il faut s’acclimater (ça prend du temps), ce week-end on doit redescendre rejoindre des copains dans la vallée, ce qui ne nous laisse que trois jours ici, c’est assez pour s’acclimater mais ce n’est pas assez pour faire le sommet.

« T’inquiètes pas ma chérie, je suis déjà content de me promener sur « las faldas » (littéralement, les jupes) du volcan » tente de me rassurer Charlie. Mais ça ne me rassure pas, ça me déprime, le deal c’était le Rio La Venta contre le Pic Orizaba. Je n’ai pas l’habitude de ne pas honorer mes promesses, et je veux encore moins arnaquer Charlie. Bon, je dois confesser que je le fais à reculons, autant l’eau n’est pas l’élément de Charlie mais il s’en sort très bien, autant moi l’altitude ça ne me branche pas plus que ça. J’ai deux expériences à mon actif qui ne me rappelle pas de joyeux état de santé en altitude : la première avec mon meilleur pote Damien sur les Geysers del Tatio, en Désert d’Atacama (Chili). En 2008 Damien m’avait rejoint pour un mois au Chili, où je faisais alors mes études, et nous avions entrepris un voyage à travers l’Atacama en stop. Un jour, nous entendons que « seulement 100km » séparent les Geysers del Tatio de la bourgade de San Pedro de Atacama où nous campions « et ce n’est que de la descente » nous raconte un chauffeur qui nous avait pris en stop. Puis on voit des vtt dans le village, et ni une ni deux, dans la complicité qui nous a toujours lié, nous organisons cette fameuse descente des Geysers jusqu’à San Pedro en vtt. On trouve une camionnette de Français qui nous monte avec nos vélos à l’aube, nous dépose aux Geysers (qui se réveillent au lever du soleil avec les changements de températures), et nous laissent enfourcher nos vélos, non sans inquiétude sur la réussite de notre projet peu ficelé. Hors après une heure passée à 4300m, peu après avoir enfourché nos vélos, Damien et moi nous sentons soudainement souffrants : peine à respirer, maux de tête, nausée et je vous passe les détails. Je l’ignorais alors mais c’était peut-être le MAM : Mal Aigüe des Montagne, qui arrive lorsqu’on n’est pas acclimaté. Il y a certainement eu un cumul cette fois là mais je n’ai pas un bon souvenir de ce démarrage à 4300m. La recommandation est de monter de 500m en 500m à partir de 3000m environ. Aux Puertas Del Cielo nous sommes à 3500m et sans vouloir psycother, je sais que je suis déjà près de ma limite naturelle (on réagit tous différemment à l’altitude). Ma deuxième expérience d’altitude a été en Colombie en 2016. Avec mon pote Fred on décide d’aller au Parc National de los Nevados, d’une beauté de paysage exceptionnelle, avec notamment la traversée de nombreux « étages climatiques » dont le fameux « paramo » qui n’existe qu’en altitude tropicale. L’objectif est de faire le Santa Rosa, un sommet situé à 4900m d’altitude. L’ascension est un régal jusqu’à notre dernier camps, à 4100m d’altitude, où un terrible maux de tête, à me clouer dans la tente sans manger ni boire ni dormir, nous paralyse deux jours, sans que ça ne passe. Dans ce cas, la recommandation est de redescendre 500m plus bas pour voir si ça passe, le cas échéant, de redescendre tout en bas. Le risque de ne pas le faire, est d’arriver jusqu’à l’œdème pulmonaire, qui lui est irréversible et létal. Quand je regarde le Pico Orizaba, et ses 5600m d’altitude, je me dis d’un côté «avec ce beau ciel bleu comment ça peut être dur ? Et il a l’air si proche » et de l’autre je me souviens de ces expérience d’altitude et au fond de moi je préfère ne pas tenter. Charlie lui est à l’aise comme un Isard, il est déjà monté à 6000m au Chili tout seul et rien : pas de maux, pas de peur, que le bonheur d’être en montagne. Ca me déprime pour lui de ne pas faire ce sommet.

« Brrr, moi je suis trop crevée, je crois que je vais me recoucher » marmonnais-je en déprimant, à la pensée de ne pas pouvoir honorer ma promesse.

On se recouche.

9h : Ah ça va mieux quand même. Le mal de crâne n’est pas très insistant, nous profitons d’être dans ce somptueux décor pour aller nous promener, après avoir pris quelques infos auprès des couples de jeunes (30ans) qui tiennent cette sorte de refuge. Charlie s’en fit plutôt à sa carte, et nous choisissons d’aller jusqu’aux vraies « jupes » du volcan, soit là où la forêt disparait pour ne devenir qu’un monde rocailleux et minéral. On a seulement 800m de dénivelé à faire, et environ 15km de marche. Une vraie balade de santé, sous un soleil éclatant et un ciel bleu caractéristique de ces altitudes. On arrive sans trop de peine à 4300m donc, où nous nous asseyons à l’ombre d’un rocher pour pique-niquer, les yeux river sur le sommet. Les jeunes nous apprennent plus tard qu’à cet endroit il y avait un cercle de pierre qui délimitait un espace de rites du groupe indigène qui vivait ici alors. Tu m’étonnes, c’est l’endroit parfait pour bénir la nature d’un si grand spectacle. On revient tout juste à l’heure au refuge pour prendre un thé en admirant le coucher de soleil sur cette mer de nuage, qui nous sépare des villes, villages et toute autre activité humaine. A part plusieurs oiseaux inconnus et un serpent, on ne voit pas non plus beaucoup d’activité animale. Pourtant nous sommes au cœur d’un Parc National qui abrite notamment le coyote, des tatoues et des serpents à sonnettes. Ca serait tellement chouette de voir tout ça.

« Vous avez bien marché aujourd’hui » nous dit un des frères du refuge. Oui, c’est vrai, on est contents. « et vous n’allez pas faire le sommet ? » Oh la la, ça nous déprime ce sujet. « Non, on pense qu’on ne pourra pas. » rétorque-t-on avec un faux sourire. « Vous savez, moi, quand j’étais gamin, je l’ai fait à pied depuis ici ! On a souffert, on est partis comme ça, mais on l’a fait ... »

...

Un commentaire comme ça ça peut faire ses petits ... ...

La vie à Las Puertas del Cielo est assez particulière : les gens vivent au frais (ce qui nous fait du bien après ces longs mois de chaleur intense, on met toutes nos couches le soir) et malgré tout le climat est extrêmement sec. Sur ce volcan et ses faldas, croyez le où non, mais il n’y a pas d’eau, pas une source, pas une rivière, hormis celle que ces gens ont la chance de capter. D’ailleurs ils ne seraient pas là sans elle. C’est un peu ce qui complique l’ascension à ce volcan : il faut porter son eau, et de l’eau, on en boit, et il est même recommandé d’en boire encore plus pour s’acclimater. Dans ce froid aride, il y a aussi un peu de vent, et la terre noire, couleur cendre, baigne quiconque qui vit ici d’une poussière nous transformant tous en des petits charbonniers. On a été marqué dès notre sortie du « taxi », accueillis par des enfants au visage de petit charbonnier. Pas un jour ne passe avant que nous leurs ressemblions. Visiblement au refuge il n’y a pas de douche. Vu les toilettes plus que sommaires, je n’ose pas demander où nous doucher. La rivière qu’ils captent est assez loin à pied, on reviendrait tout aussi noir. Alors tout compte fait, on n’a peut-être pas besoin de se doucher. Le bébé du couple se fait porte par les autres enfants, le ventre à l’air, elle va vite apprendre à marcher. Sa petite bave et son nez qui coule sont encore plus noir que le reste de son visage et de ses vêtements mais ses petits yeux brillants témoignent du bonheur qu’on ces enfants à vivre ici, entre cousins. Les plus grands dressent les chevaux, (ils utilisent tous les chevaux pour se déplacer et travailler, c’est bien plus pratique d’une voiture), ils s’entrainent à attraper les moutons au lasso ou à siffler leur chien, parfois ils se retrouvent tous le soir pour faire une sorte de manège avec des cordes attachés à la cime d’un arbre en pente. Ils nous font bien rire ! Et ici, je peux vous dire qu’ils sont loin de tout. Et vu le prix que ça coûte de descendre dans la vallée (on a payé 300pesos c’est complètement abusif pour ici), ils ne doivent pas descendre souvent. Bon, on est conscients qu’on a dû se faire arnaquer par la voiture-collective mais à quel point ?

Les garçons du refuge viennent avec de la braise nous allumer notre feu de camps, ce qui me fait rire et qui les étonne. Je m’explique dans la foulée « Eh bien là vous donnez de vraies vacances à mon chéri, c’est toujours lui qui allume le feu le soir, ça me fait tout drôle que quelqu’un le fasse pour lui ! » « Eh bien il pourra bien être en vacances ici, si vous voulez on vient tous les soirs ». Ils nous chouchoutent !

« T’imagines mon chéri, il l’a fait depuis ici, en moins de 24h, je veux dire, c’est possible »

« Oui, c’est probablement possible, en s’exposant au risque de l’œdème pulmonaire sans être acclimaté, lui il vit ici, c’est pas pareil. »

Mais dans ma tête j’ai quand même cette petite voix qui répète « n’empêche qu’il l’a fait, il l’a fait... »

Et nous nous perdons dans les belles flammes d’un feu de camps à 3500m d’altitude, les lumières des villes de la vallée ne sont qu’une tâche lumineuse sous les nuages, c’est étrange comme paysage. Et le ciel est d’une netteté. Comment retrouve-t-on l’étoile polaire déjà ? C’est un feu qui réchauffe. Et le volcan se voit même la nuit depuis notre petite tente.

Les petites cabanes Puertas del Cielo où nous avons élu camp de base. Au loin, la constante mer de nuages

Les enfants jouent au manège autour de l’arbre en pente, dans un nuage de poussière

Cuisine et Feu de camp sous le soleil étoilé

JEUDI 9 MARS, Puertas del Cielo

« Toujours pas mal à la tête ? »

On guette les signes du MAM : maux de tête 1 point, maux de tête persistant 3 points, manque d’appétit 1 point, ne pas uriner 2 points, nausée 2 points. Si le cumul arrive à 6 points, il faut redescendre. On n’a qu’un mal de tête persistant, et moi une légère nausée rien de grave.

Evidemment après le récit du frère hier, on se dit que finalement, nos trois jours peuvent nous servir à nous acclimater correctement, et à revenir faire le pic après le week-end ? Pourquoi ça ne serait pas possible.

On dort très mal, on a accumulé pas mal de fatigue ces derniers jours. On a beau avoir mis des doudous sur le sol, d’avoir conçu un oreiller avec notre sac étanche et d’être bien au chaud dans nos duvets, le sol est très dur, il est pas tout à fait à plat, et on arrive pas à dormir plus d’une heure d’affilée sans avoir le sang coupé dans un jambe ou une douleur au dos. Des vraies chochottes. Mais après un bon café et le soleil qui nous réchauffe, nous voilà partis avec une nouvelle idée : on va repérer la marche d’approche au volcan (différente de la marche que nous avons fait hier qui par ce versant, ne permet pas d’aller jusqu’au sommet). On couve en secret de pouvoir peut être faire le volcan et cette grande marche fera une bonne acclimatation. Un frangin du refuge nous indique l’itinéraire pour arriver à un refuge qui est généralement utilisé pour faire le sommet. Nous passons pas un chemin panoramique sur les plateaux perchés au dessus des vallées, entourés de nombreux sommets verdoyants bien plus bas que nous. Nous traversons une forêt de pins et de chênes, faisons escale pour déjeuner devant une superbe vue sur l’autre versant du volcan. Tout va bien, on est forme. La femme d’un frangin nous a même fait des tortillas maison pour la route. On arrive sans mal, après 3h de marche, à 2 km du refuge. « Tu vois ma chérie, si on fait le sommet, moi je disais hier qu’on pouvait dormir ici même ! Regarde c’est fou on est juste sur le point que j’avais mis sur Gaia (notre GPS) ! » m’annonce Charlie tout fier de son plan. Ca me fait chaud au cœur, il est motivé à croire à nouveau en notre projet. « Et donc je te proposais moi d’arriver par ce chemin (il m’indique l’Est), à mon avis c’est plus court et plus facile que de faire le grand tour qu’on vient de faire depuis Puertas del Cielo » s’enthousiasme Charlie en m’incitant à aller voir son chemin. On entreprend donc de redescendre par un autre itinéraire jusqu’à notre refuge, pour tester l’itinéraire auquel pense Charlie. Il vaut mieux tout repérer, car si nous revenons nous aurons nos gros sacs de bivouac dans le dos et on ne pourra pas se permettre de perdre des forces.

Vue d’ici l’itinéraire de Charlie me semble juste irréalisable, ce qui le désespère « mais c’est faaaacile, il y a pas plus de pente d’un escalier ici, c’est rien » il s’emballe et à s grande aise, il part en courant en dévalant la pente rocheuse recouverte de grandes touffes d’herbes sèches « et s’il y’a de l’herbe c’est que ça tient » me crie-t-il dans sa course. Décidemment il me surprendra toujours à être à l’aise comme une gazelle ! Je traine un peu derrière mais je fais mon chemin jusqu’au fond de ce barranco, où nous devons remonter la pente en face pour, on espère retomber pas trop loin du sentier de la veille. Mais une fois arrivés en haut, à la force de nos bras, de nos jambes et de notre agilité dans les énormes blocs de basaltes, après 150m de dénivelé, le paysage me fait presque tourner la tête « une mer de rocher » ! J’ai jamais vu ça, une coulée de lave crystallisée puis brisée par le froid et le temps. Ca me semble pas vraiment envisageable ! Des blocs encore plus grands, entrechoqués les uns sur les autres, en équilibre, mais c’est l’enfer ce truc. Et il est déjà 15h, va falloir qu’on se bouge. « Allez c’est rien ma chérie » m’encourage Charlie plein d’entrain « les blocs c’est pas comme si on avait pas l’habitude ». Ca c’est bien vrai, et le basalte, ça agrippe bien les chaussures. On traverse notre mer de rocher pour retrouver, de l’autre côté de son point culminant, une seconde mer de rocher. Incroyable ... Charlie a abandonné de faire des cairns, c’est impossible de se repérer dans cette coulée de cailloux. On se retrouve on sommet d’une autre colline, enfin herbeuse, de l’autre côté, et on se rend compte ... qu’on n’y est pas du tout ! On aperçoit au loin un chemin qui se transforme en but à atteindre. On dévale la forêt de pins et de blocs jusqu’à elle, en observant au passage des empreintes de coyotes, rectiligne. Comme les loups, ils marchent dans leurs propres pas. Elles sont bien grosses ... Arrivés au chemin convoité, on n’y est toujours pas : le GPS nous indique qu’il nous faut encore sauter une petite colline. Ca tire sur les jambes, le mal de crâne s’intensifie, on a fini notre eau, mais on arrive bien à retrouver notre chemin de la veille, il ne nous reste plus que du dénivelé négatif jusqu’à Las Puertas del Cielo. Bon définitivement, on ne prendra pas cet itinéraire si on va au sommet, mais c’était une franchement chouette balade, riche d’enseignements et de beaux paysages. Le volcan, vu de sa face sud, est encore plus beau. Par contre, il parait un peu plus loin que ce que la transparence de l’air nous laisse croire. De sa face sud, il est bien plus imposant.

« Eh bien vous en avez fait un sacré tour ! » nous félicitent les frangins du refuge, en nous voyant arriver de l’autre côté duquel nous sommes partis en fin de matinée. Ils nous questionnent sur les détails de notre balade, et je les soupçonne de vouloir vérifier nos dires. Ils nous ouvrent une cabane pour prendre une douche, c’est qu’on l’a bien mérité. Les petits charbonniers vont pouvoir retrouver leur couleur de blancs-becs. En plus ce soir c’est la fête on mange au refuge. On est les seuls, alors ils vont cuisiner trop bons rien que pour nous. Ce soir le coucher du soleil est particulièrement bizarre. Nous sommes tournés vers l’Est, le soleil se couche exactement dans notre dos, le volcan est lui aussi dans notre dos, ce qui fait qu’au lieu de voir des couleurs de coucher du soleil rougeoyantes uniformes se refléter dans la mer de nuages perpétuelles, les rayons du soleil se renferment à l’intérieur du triangle du volcan, comme si l’ombre du volcan faisait un spectre. C’est dur à expliquer, et encore plus hallucinant à constater, alors je vous laisser constater le phénomène sur cette photo.

Les frangins aiment bien venir discuter avec nous. On parle de tous, ils nous apprennent que le Parc n’embauche pas vraiment de Guarda Parque comme au Parc du Triunfo où nous avions été guetter le Quetzal, à l’inverse le Parc forme des locaux à faire du « monitoreo » (du travail d’observation de traces et d’excréments d’animaux sauvages). Après tout c’est pas bête, les locaux connaissent ce terrain mieux que personne, ils y ont grandit, ils savent y vivre. Mais ils les forment tout juste pour faire la tâche du Parc. C’est pour dire, les frangins ne savent à peine lire ni écrire, et ils ne reconnaissent pas non plus toutes les empreintes d’animaux que nous leurs avons montré dans nos quizz-photos de fin de journée. Ils les emploient aussi de manière saisonnières pour faire des brise-crues en pierre tout autour du volcan ainsi que des tranchées pour retenir les pluies torrentielles de la saison des pluies et éviter d’inonder les villages et les villes, voire de les détruire. Ils doivent faire ces brises crues et ses tranchées en suivant les courbes de niveau, on en a vu dans des coins reculés franchement pas très accessibles, ils sont costaud ces gars pour travailler comme ça.

Le mal de crâne s’intensifie, je prend un doliprane pour que ça passe. On a dû trop forcer sur la marche, on final on a fait 1000m de dénivelé et près de 20km, à une moyenne de 4000m d’altitude c’est pas mal.

Rando d’approche vers le versant sud du volcan

Dur d’être une végétation par ici

Vue panoramique depuis le désert de sable, face sud du volan

Des rochers à perte de vue

Empreintes de coyote

Fosse pour reguler le déluge et les inondations

NB: le coucher de soleil est dans notre dos

VENDREDI 10 MARS, Puertas del cielo

« Mon chéri j’ai trop mal au crâne » ... je dois confesser en me « réveillant ». Cette fois-ci j’ai à peine fermé l’œil, le manque de confort n’a pas aidé mais j’ai surtout pas pu dormir à cause du mal de crâne. J’ai la tête qui va exploser, j’ai même pas envie d’un café c’est pour dire. Ouh la la ... Nausée, vertige, pourquoi on ne s’acclimate pas ? Ca fait trois jours que nous sommes là je pensais qu’on s’acclimaterait pour finir. Je monte au refuge me plonger dans mon journal avec un thé. On doit redescendre dans la vallée cette après-midi, on a prévu de rester le plus longtemps possible en altitude pour continuer notre acclimatation et ne pas trop perdre d’ici notre retour dimanche soir. Mon journal me permet de penser à autre chose, je bois beaucoup et je jouis d’être dans un aussi beau bureau, avec cette vue sur cette terre noire qui à une période de l’année sert à cultiver les patates, ces petites cabanes de bric-et-de-broc, ce volcan immense, et cette mer de nuage. Une éternelle mer de nuages, c’est fou. Et la vallée dans la grisaille, ça donne pas envie de redescendre.

« A dimanche soir si tout va bien alors ! Et cette fois-ci on ira faire le pic !» nous sommes confiants cette fois, on devrait pouvoir se le faire. Mais pour l’instant, moi j’ai besoin de redescendre, de me reposer vraiment, de me refaire une forme. Et le canyon tant attendu ça va nous faire du bien ! Nous suivons, dans un nuage de poussière, un enfant qui nous guide à dos de cheval jusqu’à la route où on devrait trouver une voiture- collective pour redescendre. On est fiers de nous, on réussi à le payer 250p et non 300p (bon après selon leur logique c’est moins cher dans la descente car on gaspille moins d’essence).

Puis, au –fur-et-à mesure de notre descente nous ramassons des coups de massue : Charlie me montre la météo sur son portable : neige et orage ! Mais non, c’est pas possible. Pour un coup de massue c’est le plus fort. On se sentait prêts. « Là c’est sûr c’est fichu » constate Charlie. On tire la tête. Puis j’apprends que les mexicains qu’on a attendu toute la semaine pour aller canyoner samedi nous plantent. Ca c’est pas sympa, ils nous ont supplié de ne pas aller à la carbonera mercredi dernier pour les attendre. On a besoin de personne pour le faire mais on voulait partager... Arrivés en bas une nana qui était entrée dans le véhicule-collectif ne paie que 30p alors que nous on doit en payer 250 ! On est super vénères ! Et ensuite on se fait arrêter par une mamie qui avait l’air gentille qui nous peste « Eh bien y’a que vous qui pouvez aller sur notre volcan, vous vous avez de l’argent » dit-elle aigrement en nous poursuivant. On se réfugie dans un bus direction Ciudad Mendoza, Gavrilo (Speedy Gonzales) nous recommande l’hôtel d’un ami chez qui nous atterrissons sans hésiter. Gavrilo nous invite à un entrainement sur corde le soir mais on rend notre tablier, nous préférons nous reposer pour être en forme pour demain. Gavrilo compte toujours venir, et il a même invité les membres de son club. La sortie aura bien lieu avec des mexicains, même si c’est pas ceux qu’on avait invité. On a RDV à 7h, ça rigole pas.

Notre petite tente à Las Puertas del Cielo

SAMEDI 11 MARS, Ciudad Mendoza

Ah, après une excellente douche, une pizza et une bonne nuit de sommeille, ça va mieux ! On fait notre café comme des Rom sur le réchaud dans la douche de l’hôtel et on est prêts pour aller faire cet immense canyon dont on a entendu toutes les louanges. Apparemment il fait 9km et 1000m de dénivelé. Une telle envergure ça mérite de partir à 5h du mat mais Gavrilo a insisté pour se retrouver à 7h. Un de ses amis vient nous chercher à l’hôtel à 7h15 et nous retrouvons Gavrilo et toute une troupe d’inconnu pour ... petit-déjeuner. Eh ben dis donc on est surpris, ça décolle pas fort, ils ne stressent pas trop d’une si grande descente. Et en plus Gavrilo compte emmener son perfo pour remplacer quelques points, eux ils aiment sortir de nuit. Notre désarroi vexe un peu Gavrilo sur leurs « coûtumes » mais bon, petit à petit on arrive en haut du canyon et on se divise : nous partons avec Eduardo, un mexicains que j’avais invité, à l’amont du canyon et Gavrilo et son troupeau rentrent à la moitié. Notre première partie est magnifique, encaissée dans des gorges blanches, l’eau est fraiche et cristalline, elle coule directement du volcan. Nous passons devant des petits casotes qui sont les « carbonera » (charbonnières) qui ont donné le nom à ce canyon. Ils font encore leur charbon comme ça ici c’est fou. Apparemment c’est interdit, ici aussi nous sommes dans un Parc National, ce sont des carboneras illégales. Charlie et moi on est dopés, on trace, on dévale le canyon, rien ne nous arrête. Est-ce qu’on seraient shootés de notre séjour en altitude ? On se régale et on rattrape rapidement le troupeau, qui lui est à l’arrêt complet. Après près de deux heures d’attente, une petite conversation avec Gavrilo s’impose : « c’est pas qu’une question d’avancer, mais c’est aussi la sécurité du groupe de ne pas avoir froid et de finir sans trop trainer le canyon ». En vrai je suis en colère, il emmène du monde faire un canyon mais il ne se concentre que sur changer les ancrages, c’est hyper égoïste. Il le prend mal, Charlie et moi embarquons les débutants et choisissons de finir le canyon sans Gavrilo et ses assistants techniques. Finalement, le canyon se fini d’un coup « Et après Eduardo ? »

« C’est fini, c’est ici qu’on fini. »

« Hein ? » j’en crois pas mes yeux ni ma topo. Charlie non plus. « Mais c’est pas 9km le canyon ? Et 1000m de dénivelé ? On n’a même pas fait la moitié. » Eduardo a sûrement oublié une partie.

« Non, c’est fini. » Je me un temps avant de réaliser que le club ne parle pas de la descente du canyon uniquement comme nous le faisons, mais de l’intégralité du parcours, marches incluses donc. Ce qui change vraiment la donne, et qui en fait même un peu perdre de son sens à la topo. Le groupe, par solidarité, souhaite attendre les équipeurs. Soit. Nous attendons patiemment 1h, puis perdons patience une autre heure, et à la troisième je craque. Ils se foutent de la gueule du monde, c’est abusé. On décampe, je ne les attendrais pas plus. Personne n’a l’air de s’en faire d’attendre, moi ça m’épuise ? Ca m’attaque le moral, c’est pire que tout. Et ils arrivent à rentrer de nuit. C’est pas possible, c’est même inutile et en plus dangereux (cette zone n’est pas très conseillée). Du coup, avec la tension, c’est con mais on part en froid avec Gavrilo, ex-Speedy Gonzales qui a largement perdu son titre. Pourtant toute cette organisation partait de bon cœur.

Accès au canyon par La Boca del Toro

Un rappel de la Carbonera

Ambiance encaissée dans les gorges de la Carbonera

Avec notre ami Eduardo, avant de retrouver le troupeau

DIMANCHE 12 MARS, Ciudad Mendoza

Journée vacances aujourd’hui ! Eduardo nous propose d’aller descendre le fameux Popocatl (« Eau qui fume ») à 1h30 de route d’ici. Et il nous emmène! Il s’agit d’une magnifique rivière de la forêt Zongolica qui se jette entièrement dans une grotte par une cascade de 50m. Les embruns qui se dégagent forment une vapeur d’eau constante qui est d’autant bonifiée par les rayons du soleil qui la touche. C’est une super virée relax entre copains, Eduardo nous traite en égals, il s’entend super bien avec Charlie. Nous faisons route entre les champs de canne à sucre et suivant les camions chargés à ras- bord de canne à sucre, puis le paysage devient encore plus vert avec les bananiers. On voit ici que le climat est bien pluvieux et chaud. Quel contraste avec le volcan. Ce gouffre n’est qu’une seule descente en rappel, de 60m de là où nous avons attaché la corde, mais ça vaut le tour. De nombreux touristes viennent voir le gouffre. En échange de l’accès au Popocatl (situé sur terrain privé) on se paie un déjeuner chez le propriétaire dont la femme nous fait le typique riz pimenté, tortillas frijol et ... peau de porc gélatinée. C’est assez ... écœurant. Mais faut pas faire la fine bouche quand on est invités ! Charlie a même le droit à un alcool fait-maison du propriétaire, une gniole de « nanche ». Ca avait l’air doux, mais l’alcool en plein cagnard, très peu pour moi.

« Ma chérie tu vas pas le croire ! La météo a changé, il fait beau sur le volcan jusqu’à mercredi ! » Ben dis donc, si ça c’est un retournement de situation. Bon, ben ... on y va alors ?

Descente dans le gouffre Popocatl

Vue sur la cascade depuis l’intérieure de la grotte où se jette Popocatl

Puis remontée des 60m plein vide :)

LUNDI 13 MARS, Puertas del Cielo

On reconditionne nos sacs, cette fois le plus light possible, on fait les courses pour trois jours, Eduardo nous prête une paire de gants chacun, un matelas pour le sol et une paire de bâtons, en contribuant ainsi largement à notre confort et à notre réussite. Comme pour le rio l venta, on nous encourage dans notre réussite, on nous prête des trucs, et on nous souhaite le meilleur, ça ne peut que réussir. Et moi je me sens tellement mieux, reposée, d’attaque.

Tout roule comme sur des roulettes, on trouve une espèce d’huile essentielle de menthe, connue pour être efficace contre les nausées et les maux de tête et on trouve une voiture-collective qui accepte de nous monter pour 200p, encore moins cher que la descente de l’autre jour. On va y arriver !

Au refuge on trouve un endroit plus plat et sur les matelas on dort incomparablement mieux et on se réveille ...

MARDI 14 MARS, Le Volcan

... sans aucun mal de tête ! La mission d’aujourd’hui est d’aller monter un bivouac plus près du sommet. On ne va pas dormir au refuge car il est déjà à 4700m d’altitude, et le changement serait trop dur à vivre, en tout cas pour moi. On opte sans hésiter pour la marche d’approche « panoramique », nos sacs sont assez lourds, surtout que nous devons porter toute l’eau de consommation et de cuisine. On porte 10L d’eau mais ça se fait bien, on est motivés. Le projet va peut-être se concrétiser. Dans l’après-midi des nuages grisonnant arrivent et cachent le sommet, c’est pas le top mais rien d’inquiétant.

« Tu sais que ce matin le frangin a marmonné « Parece que quiere llover » (On dirait qu’il va pleuvoir) » j’y repense en voyant ces nuages

« Pourquoi tu m’as rien dit » s’étonne Charlie

« Eh ben, tu m’as dit qu’il ferait beau, alors je lui ai dit qu’il ferait beau » bêtement peut-être ... C’est sans doute que je veux y croire. Pourtant la météo est plus fiable quand on sait regarder le ciel...

GRRROUUMMMMMMMMMMMMMMM

De l’orage ! Putain c’était plus au programme ça. Ca tonne. On se cache un peu dans les pins, Charlie met de la musique pour me déstresser. On ne se sent jamais très sereins avec de l’orage en montagne. 30min plus tard ça s’arrête, et nous repartons. De 4000 à 4400m j’en pâti. Je respire fort, je trouve mon sac super lourd (alors qu’on porte tellement plus lourd d’habitude), on s’enfonce dans le sable, et les nuages rôdent toujours autour du volcan. Moi qui nous imaginais camper tranquillement dans ce désert de sable chaud parmi les coyotes, ça ne risque de ne pas être si tranquille.

Malgré tout notre bivouac est magnifique ! On campe au pied de la « Torrecilla », une tour rocheuse qui cache presque le sommet de notre point de vue. Il nous faudra la contourner pour trouver le refuge qui est derrière et continuer notre ascension jusqu’au sommet. Les nuages sont noirs mais il n’y a plus d’orage. On installe notre campement tranquillement, on se fait un bon thé d’herbes sauvages, qu’on savoure devant cette immensité du paysage. Qui d’autre dort sur le volcan ce soir ? Le soleil couchant apparait sous les épais nuages gris, ces nuages bougent vite, heureusement le vent à l’air de les pousser vers le nord, nous on est plein sud. D’ailleurs c’est le versant que nous nous apprêtons à monter : le versant sud, le plus raide, le plus pénible soit disant, car la pente atteint soit disant 30° (pour nous ça nous parait du gâteau), et qu’elle est en fait qu’en sable ! 1000m de dénivelé de sable et de roches instables, ça en fait une sacré dune. En fait, personne n’aime monter par ce versant, c’est une souffrance. Mais l’autre versant, le Nord, est un glacier et il nous aurait fallu une logistique bien plus complexe : louer des crampons et des piolets, et on a même pas de lunettes de glacier. C’était donc inenvisageable. Le plan « méga dune du pila » ça ne nous fait pas trop peur. Il est recommandé d’arriver au soleil en début de matinée, car après le temps se dégrade très vite en haute montagne. La semaines précédente nous a prouvé l’inverse car pas un seul nuage ne nous a privé de la vue sur le sommet de nos trois jours à Las Puertas del Cielo, mais faisons les choses dans les règles de l’art, arrivons dans la matinée. « A 10h maximum vous devez redescendre, sinon il y a un risque que vous vous perdez dans le brouillard, et il y a des pentes très raides » nous recommandais Eduardo avant de nous laisser partir la veille. « Et aussi il y a beaucoup d’accident parfois quand il pleut, la glace gèle sur les rochers et les gens glissent jusqu’en bas, ils n’ont pas l’habitude de se phénomène ». On fait des têtes incrédules et Eduardo arrête de nous faire peur.

« Mais t’imagines, ça serait tellement claaaasse de voir le lever du soleil depuis le sommet ma chérie ! » m’annonce Charlie. Ben ça, c’est encore un autre défi ! Mais OK, c’est l’ascension de Charlie, on ne le fera peut- être qu’une fois ce sommet, autant le faire bien. Charlie calcule à voix haute « En moyenne en haute altitude on fait du 300m de dénivelé par heure ... ce qui nous fait nous réveiller à ... minuit ! » Eh bah voyons ! Bon, soit, j’accepte tout, je trouve ça cool d’ailleurs, j’ai jamais marché de nuit comme ça, je trouve même ça dingue. C’est con, c’est juste marcher de nuit, mais c’est pratiquement marcher ... toute la nuit. « t’imagines ce que ça sera de marcher sous un ciel noir étoilé ! » s’enthousiasme Charlie. Plus rien ne l’arrête, il est en super forme, il sait qu’on va y arriver.

GROOOOMMMMMM CLAAAACC !

Oh non punaise l’angoisse, là on a bien quitté le refuge de la forêt, on est en plein désert de sable et de roche, plus rien pour nous abriter. Le soleil se couche, on a installé notre camp. On fait quoi ? On ne va pas tout démonter ?

CLAAAAAAAAAAAAAC

« 1, 2, 3, 4 ....13 » Charlie compte la vitesse du son qui nous sépare de la lumière de l’éclair que nous venons de voir au nord-ouest. « Il est à bien 4 km » me rassure Charlie.

A chaque claquement Charlie vérifie le déplacement de l’orage, il ne bouge pas, il est tanqué côté nord –ouest du volcan. Mais un énorme cumulo-nimbus s’installe au dessus de nous, je n’aime pas ça, ça me stresse à mort à vrai dire. On se sent tellement vulnérables et en même temps le paysage elle tellement beau, y’a une sacré ambiance ! Ca claque encore, on vient de finir de cuisiner notre repas « Viens, on va se réfugier dans la tente, au moins on le verra plus » me presse Charlie en me fourrant dans la tente avec les gamelles de notre popote. Dans l’inquiétude je force un peu la fermeture éclair de la tente qui ... casse. Merde, manque plus que ça. Les boules. On s’assied courbés dans la tente (on ne tient pas assis droit), Charlie met de la musique pour me détendre, il me rassure, et mange avec appétit. Imperturbable mon mec, il assure ! Moi j’ai un nœud à l’estomac, je peux rien avalé, je mange du bout des lèvres histoire de faire un effort.

Un dernier CLAAC, .... Et la grêle ! Manque plus que ça ! des petits grêlons, puis ils s’intensifient.

« Les grêlons c’est bien quand l’orage est fini, non ? » je tente de me rassurer. En général c’est ce qu’il se passe, et tant mieux car la règle s’est bien appliquée à notre situation, la grêle à cédé la place à la pluie, la pluie est entrée par la porte de la tente cassée, on s’est roulés dans les duvets tout habillés comme des petits chiots dans un panier et la dernière parole que j’entend de mon chéri

« Ma chérie, cette fois-ci c’est sûr, c’est fini, je suis désolé. On s’est entêté mais c’est fini, s’il neige sur le volcan on n’a pas de crampons » et ça sera trop dangereux, je connais toute la suite, mais je veux juste dormir, ça m’a fatigué ce stress et cette série d’émotions. J’en dors à point fermé jusqu’à ... minuit.

Un grand ciel noir étoilé, sans un nuage, sans une brise, un calme plat, et un froid de canard ! Il fait glacial mais on dirait que les éléments nous sont de nouveau favorables. Charlie a le courage d’allumer le réchaud pour chauffer de l’eau et cuire son petit déjeuner (de l’avoine avec des fruits coupés). Moi je range le campement et sort de la tente au dernier moment. On a peur que mes pieds gèlent, ils ont gelé l’hiver dernier lors d’un campement spéléo de trois jours dans la neige. Depuis, ils sont encore plus sensibles qu’avant. Mieux vaut rester au chaud le plus longtemps tout en étant active.

A 1h du matin on planque nos affaires sous une souche et partons avec un « sac d’attaque » qui est le sac contenant tout ce qu’il faut pour notre réussite du sommet. C’est Charlie qui le porte, moi j’ai le luxe de ne pas avoir de sac, et en plus j’ai la paire de bâtons. En marchant finalement on se réchauffe vite et c’est même amusant. Seul petit stress : nos batteries de frontales se sont déchargées à cause du froid, on a plus trop d’autonomie pour faire toute la nuit avec. Rapidement nous décidons donc que Charlie nous éclaire (car il guide en suivant son tracé GPC) et moi je le suis dans son éclairage. Ca se passe plutôt bien jusqu’au refuge, on discute, on respire bien. On prend un petit goûté au refuge (4700m), il est 2h30 du matin, pile comme on l’a prévu. Je n’ai pas grand appétit mais il faut manger quelque chose. Rapidement le froid nous gagne et nous nous remettons en marche. La suite j’ignore complètement comment ça s’est passé. Je ne me rappelle que d’une torture infinie de petits pas après petits pas dans la nuit noire aussi belle qu’oppressante et d’un essoufflement de plus en plus difficile à gérer. Je me demande encore comment Charlie a fait pour nous guider avec son faible éclairage dans cette dune parsemé de blocs instables. 30min après le refuge on rejoint un col où le vent glacial nous frappe de plein fouet. Il n’est pas très fort mais il est suffisamment froid pour me geler, je ne sens déjà plus mes pieds, malgré mes efforts pour bouger les orteils. Nos chaussures d’alpis sont bien abîmées des grottes et des canyons de notre voyage, je n’ai pas pu mettre de grosses chaussettes car ça me comprime trop, on est bien habillés on a une petite doudoune et une gore-tex, et je remercie infiniment Eduardo pour ses gants. Sans ses gants, je n’y serai pas arrivé c’est certain. Charlie semble toujours m’attendre, il m’encourage et nous montons dans le pierrier. Un coup il arrange mes bâtons, un coup il me donne à boire, mais l’heure ne passe pas.

3h du matin : « Qu’est ce qu’il ne va pas ma chérie »

Je parle très peu, ce qui n’est pas mon caractère, en général, c’est pas bon signe.

« J’ai tellement froid au pied » je lui susurre. Charlie déballe alors le sac, il déchire une couverture de survie et il me fait des chaussettes en couverture de survie à glisser dans mes chaussures. On se remet en route, mes pieds se réchauffent, ça va beaucoup mieux. C’est un stress en plus à gérer ces pieds qui gèlent. On va lentement. Je me demande à chaque instant comment il fait pour se repérer, pour choisir la route, et cette nuit qui ne passe pas

4h du matin

« Ca va ma chérie ? Tu t’en sors très bien ». Ces mots d’encouragement me font éclater en sanglots. « Je ne sais pas pourquoi mon chéri, c’est trop dur, ça me faire peur l’altitude, on ne peut pas respirer, je sais pas si je vais y arriver » je lui confie alors en m’enlevant un poids du cœur « et comment tu fais pour te repérer je suis perdue moi ici, jamais je ne pourrais le faire seule » et ça me chagrine encore plus de ne pas avoir ces capacités, mais après tout, on est un binôme.

« Tu sais on n’est pas obligé de le faire ce sommet, c’est pas grave, on peut faire demi-tour. Moi je voulais juste que tu ai fais ton premier 5000 avec moi et on l’a déjà passé ma chérie, je suis super fier de toi ! On a fait les 5000 on est à 5100m d’ailleurs, bravo, tu es très forte ! » m’encourage encore Charlie « et tu sais moi j’ai encore plein de ressources, je vais très bien, je peux nous emmener tous les deux il n’y aucune inquiétude à avoir d’accord ? Mais si tu veux faire demi-tour... »

Non, ça non, c’est bien l’argument qui peut le plus me motiver : ne pas abandonner, on peut le faire, on va le faire. Vive le caractère entêté de ma mère, je la remercie pour ça.

On reprend donc. D’autres petites crises de morales interviennent plus tard, surtout quand je demande à Charlie quelle heure il est et combien de dénivelé on a fait. On avance comme des tortues, cette nuit ne passe jamais, j’ai tellement froid, ça me plonge dans un mutisme. Lorsque j’ai trop froid aux mains Charlie m’échange ses gants tous chauds contre mes gants froids et trop petits pour lui. Il me chouchouette, il m’encourage, et à chaque fois qu’il me propose de faire demi-tour, inquiet pour ma santé morale et peut-être même douteux de mes capacités, nous repartons à petits pas. La pente se fait de plus en plus forte. Sur le site de grimpe ils disaient 30° de pente, mon cul on en est bien à 40°, c’est vertigineux cette pente, 1000m de pente jusqu’au refuge et nous qui montons notre pyramide, un volcan parfait, magnifique.

5h

Je m’essoufle à un tel point que je dois effrayer Charlie et finalement je me rend compte que d’hyper-ventiler me fait du bien, j’en suis maintenant à 4 pattes, je ne risque pas de faire l’Everest un jour au moins ça c’est clair, où alors ça serait le défi de ma vie. Et Charlie, toujours une petite gazelle exotique dans ce froid glacial, à l’aise, il marche comme si de rien, on dirait qu’il ne subit rien, ni le stress, ni le froid, ni la respiration. Comment est-ce possible ? La pente s’intensifie, je regarde vers le haut, jamais on ne voit le sommet. Par contre vers le bas on voit bien la pente raide. Et dans le ciel se soleil qui n’apparait jamais bon sang j’ai si froid.

AFOUUU, Afouuu, AFOUUU, Afouuuu

« Allez, tu vas y arriver, tiens bon ». Je m’encourage dans ma tête toute seule à présent. J’ai décidé de ne plus demandé l’heure, ni le dénivelé. Je suis tombée dans un mutisme. Continuer à petit pas jusqu’en haut, et arrêter d’espérer que le soleil sorte un jour. Si tout se passe comment prévu, quand on sera au sommet, il sortira, si nos calculs sont justes, quand on sera au sommet, il sortira. Alors il faut aller au sommet.

Bon Dieu la pente elle fait bien 50° c’est abusé ! Sans rien pour se protéger, c’est sacrément raide. Heureusement la petite pluie de cette nuit, qui n’a duré que 30min, n’a fait que laissé des petits grêlons sur notre itinéraire, rien de dangereux. Sinon, on aurait dû faire demi-tour.

6h15

« MA CHEEERIIIEEEE ! Regarde ! On y est presque ! Je vois la croix ! MA CHERIE, tient bon, cette fois-ci on y arrive au sommet, pour de vrai !

Zero émotion. Je suis à 4 pattes dans la pente. « Tu vas y arriver, aller, encore quelques petits pas »

Mais quand je lève la tête et que je vois Charlie, et la croix, mon regard s’embaume, se trouble, et des larmes coulent. Charlie revient me chercher en courant et me soulève sous les bras « Ma Chérie, on va arriver au sommet ensemble, regarde, on y est ! C’est incroyable ! »

Charlie me soutient et j’éclate en sanglots. C’est pas possible, on l’a fait, on est à 5600 p*** de mètres d’altitude. C’est fou comme c’est dur, mais on l’a fait. J’ignore comment on va redescendre d’ailleurs c’est tellement pentu je préfèrerai avoir mon snow et qu’il y ait de la neige. Mais on y pensera plus tard. Charlie me cocoone, le soleil sort, enfin, il en a mis du temps ce matin. Il se dégage de la mer de nuage, rougeoyant, à 6h30, et ses rayons touchent enfin nos visages, comme Charlie le souhaitait. Dans notre dos, l’immense ombre du volcan se dessine sur le pays, une immense ombre en forme de pyramide, c’est saisissant. De tels efforts, une telle récompense, la récompense non seulement d’être au sommet mais de vivre une aventure à deux, de nous soutenir et de nous aimer. Nous sommes à 5665m, au sommet du Ciltaltepetl, La montagne aux étoiles.

Malheureusement le froid ne nous fait pas nous éterniser là-haut. Etonnamment, on a même pas mal à la tête et au repos, on respire bien. Mais il fait trop froid quand on s’arrête. On jette un coup d’œil au cratère, brrr, on ne voit même pas le fond. Il faut traverser une arête pour aller voir le glacier, Charlie a trop froid pour y aller. A peine une demi-heure là-haut et nous redescendons. Finalement, c’est tellement plus facile que je ne pensais, on peut presque courir dans le pierrier tellement le sable est fin, on fait des pas de géants, il suffit juste de garder l’équilibre

« Regarde ma Chérie ils ont tous peur de tomber jusqu’en bas mais c’est impossible » et Charlie saute dans la pente en boule, fait une roulade et se relève sur ses pieds, ce qui me fait éclater de rire qu’il soit si à l’aise, et si drôle dans un tel endroit. On met au moins 1h30 à redescendre tout ça, dire qu’on a mis 4h30 à le monter. Quand on est au refuge et qu’on regarde en haut, le sommet à l’air ridiculement à côté. Jamais on ne soupçonnerait sa difficulté. Marcher dans la nuit nous a certainement fait perdre du temps et du moral, de jour ça doit être un peu plus facile. On se traine jusqu’à l’endroit où nous avons caché nos affaires de bivouac. On est un peu en vrac, ces 2h de marche sont pénibles, on avance en rêvant d’une sieste. On est censé redescendre jusqu’à Ciudad Mendoza, à l’hôtel, aujourd’hui. Autant dire qu’on n’est pas rendu.

A 10h nous sommes à nos affaires, on s’autorise une bonne sieste au soleil, qui nous requinque bien. Un petit café par le-dessus et le coup de fouet est efficace : c’est parti, on redescend jusqu’en bas. On a 3-4h de marche pour arriver jusqu’à la route où trouver un véhicule-collectif. Alors que nous marchons, nous entendons l’orage se déclencher, plus fort cette fois-ci. Une odeur électrique rôde, c’était prévu : ils avaient annoncé orage-neige pour cet après-midi, les pus redoutables selon Charlie. La pluie nous gagne alors que nous marchons dans la poussière de la piste trop empruntées par les troupeaux de moutons, les gouttes d’eau font des petits nuages de poussières, mais ça fait du bien, on a le visage tellement sec et noir ! Un gentil monsieur et toute sa smala prend pitié et nous embarque dans le coffre de sa voiture sur 10km, à un endroit stratégique pour prendre une voiture-collective. « Ne leurs donnez pas plus de 30p, c’est le prix, c’est tout » nous recommande les femmes de la voiture. On est décidés, on paiera la prix mexicains. Le Monsieur nous souhaite la bénédiction et repart sans rien demander, sans demander d’argent, ce qui est très rare au Mexique, on nous chine sans cesse. La Bienveillance, une belle valeur, enfin les Mexicains nous prouvent qu’ils en sont capables.

Une première voiture-collective s’arrête, au moment de charger les sacs le chauffeur annonce 200p/personnes. On lui dit que non, c’est 30p/p, pas plus « Ah désolé alors, je n’ai pas de place » justifie-t-il dans un vrombissement de moteur.

Pas de soucis, nous on a du temps. Alors on attend, jusqu’à ce que le prochain nous embarque. Aucune discussion sur le tarif, 1h plus tard on est dans la vallée, Charlie avait préparé les sous à donner, on récupère nos sacs sans un mot, il y a quand même une petite tension, Charlie donne les 60p/p en regardant le chauffeur droit dans les yeux, ce regard qui fait tout comprendre. Le chauffeur acquiesce, prend les billets et part. ON A REUSSI ! Au bout du 4ème trajet on a payé le prix mexicain ! Hourra !

Bon la suite est un peu traumatisante : on retourne dans le brouahah incompréhensible de la ville, si petite soit-elle, si sale soit-elle, ce matin on était au sommet du volcan. C’est trash. Si trash qu’on se réfugie dans notre chambre et on commande des pizzas pour ne pas avoir à en sortir. Même pas une bonne bière pour trinquer ça.

Au programme du lendemain : grasse matinée et trajet jusqu’à l’Etat de Jalisco. Le voyage va si vite !

Au bivouac avant la nuit d’attaque

Un bon petit thé naturel avec nos mains de charbonniers

Avant l’orage, Notre campement au pied de la torrecilla, le volcan est dans les nuages

Superbe coucher de soleil sous les nuages

Une ascension difficile

Marcher à 5600m d’altitude

Ensemble, au sommet du Citlaltepetl (5665m), avec l’ombre du volcan à l’aube